A l’occasion de cette lettre, des nouvelles de l’association: suite à l’appel lancé début octobre, deux nouvelles déléguées générales travaillant en tandem (Jocelyne Beard et Claudine Delerce) mènent avec le conseil d’administration élargi la réflexion sur la refondation lancée en 2008. Nous espérons pouvoir faire le bilan de ces travaux à la mi 2009. Par ailleurs, trois textes dans cette lettre : le premier, d'Hervé Chaygneaud-Dupuy, s'intéresse aux cartes de voeux 2009 (mais si !) ; le second, de Bruno Vincenti, est comme un avant-propos de notre rencontre du 24 janvier, le dernier, de Guy Emerard, propose une réflexion inattendue sur la manière de rééquilibrer le poids ses diverses générations face aux choix politiques. Encore une fois quelques instants de lecture hors des chemins si balisés de l'actualité !
Jean-Pierre Reinmann
Et si en 2009 les cartes de voeux disaient vrai ?!
Gardez bien vos cartes de voeux cette année ! elles serviront très certainement de corpus aux chercheurs de 2050. je vois déjà le titre de la thèse dont elles feront l'objet : « les cartes de voeux de 2009, analyse sémiotique d'une rupture du cadre discursif de l'échange conventionnel des souhaits de bonne année à l'aube de la Grande transition». Je ne plaisante qu'à moitié. Relisez-les, revoyez les illustrations choisies. On est très loin du traditionnel « bonané ». Une chrysalide et un papillon sur l'une, un forgeron donnant le dernier coup de marteau sur le 9 qu'attend un millésime non fini 200. sur l'autre. Et puis des citations d'Ivan Illich : «Quel privilège de vivre dans un temps où notre espoir a perdu son calendrier mondain et les échafaudages horlogers! Nous sommes dans un temps d’espoir sans échafaudage » ou de Jacques Rancière : « …mettre en valeur, partout, ce qui s'invente comme formes de vie, comme création, comme discours ».
Belle coïncidence aussi du neuf et du 9 !
A la Une du Monde le dernier éditorial du directeur du journal était titré « Réinventer ». C'est bien effectivement le programme de l'année… à une variante près. Le ré- est superflu. Il n'y a pas de retour en arrière possible. Il faut inventer. Simplement, si j'ose dire. Mais peut-être que la clé est là, dans ce simplement, justement. Dans le film de Milos Forman, Salieri disait à propos de la musique de Mozart : « Trop de notes, trop de notes ! » Si cette apostrophe était sans doute mal venue face au compositeur, ne devrait-elle pas nous inspirer dans la tâche qui est la nôtre ? Nous avons sophistiqué à l'infini nos organisations et nous ne les maîtrisons plus. Comme le suggérait récemment Pierre Assouline, ne devrions-nous pas nous inspirer de la décision du concile de Latran qui interdit en 1139 l'usage des arquebuses et des balistes au motif que ces armes ne permettaient pas à ceux qui les utilisaient de mesurer les conséquences de leur tir.
Inventer avec le souci de faire simple et de maîtriser la portée de nos inventions : voilà sans doute une ligne de conduite qu'il serait sage d'adopter. On n'en prend pas le chemin, malheureusement. Deux exemples parmi tant d'autres : le traité européen « simplifié » qui était tout sauf simple et ne donne toujours pas de perspective forte à l'Europe ; tout récemment l'accord des partenaires sociaux pour la réforme de la formation professionnelle qui devait lui aussi simplifier le maquis et l'a rendu encore plus inextricable.
Faire simple n'est pas simplifier de même qu'inventer n'est pas réinventer. Quand se rendra-t-on compte qu'on a aujourd'hui autant besoin des questions des profanes que des réponses des experts ? Mon voeu est que 2009 nous donne davantage l'occasion d'entendre des profanes en dialogue entre eux et, lorsque nécessaire, avec des experts.
Le 24 janvier vous êtes tous invités, en tant que profanes, à réfléchir à ce que nous pouvons faire pour inventer des formes de richesse adaptées aux temps qui viennent.
Je sens que ceux qui feront l'effort de venir ne seront pas déçus. (voir ci-après les notes envoyées par Bruno Vincenti)
Hervé Chaygneaud-Dupuy
Crise et rebonds
« Crise » : un mot qu'on avait un peu oublié avec par exemple la décomposition de l'idéogramme chinois pour crise qui nous avait bien inspiré en son temps : CRISE = DANGER + OPPORTUNITE
– Danger : il est plus fort que dans la version précédente car la crise est soudaine et brutale. (les chutes et dégradations en tous genres sont records). Il y a à la fois urgence (à protéger, à réparer à soutenir) et en même temps prime aux solutions qui peuvent se mettent en place très rapidement (déjà prêtes, déjà expérimentées).
Voir ce que les préfets de départements font dans le cadre du recensement des 1000 projets demandé par Devedjian (Ministre de la relance).
– Opportunité : les projets qui étaient simplement intéressants il y a peu, peuvent devenir vitaux aujourd'hui. Les blocages administratifs, financiers, culturels peuvent-ils résister face à l'urgence des besoins (de socialisation, de services, de responsabilisation) ?
Besoins nouveaux, urgents, massifs : que fait-on face à une hausse de 10, 15 voire 20% du chômage en 6 mois ? Les services classiques vont être vite débordés. Quelle mobilisation de la société civile pour de la création rapide d'activités nouvelles, de la solvabilisation d'urgence de professionnels et d'activité ?
Quelles communautés d'occasion et d'action créer, éphémères, souples, à forte productivité pour répondre à une demande soudaine de repositionnement.
Sur l'empowerment citoyen, on a beaucoup travaillé depuis 20 ans : c'est le moment de mettre ces pratiques et ces idées au service d'une société en voie de choc, agressée, en recherche rapide de points d‘appui face aux périls qu'on nous annonce. En 20 ou 30 ans, on a progressé sur l'équipement de la société en outils et pratiques d'auto-organisation. Mettons-les à l'épreuve de cette épreuve.
En même temps, préparons nous à rester lucide face à l'ambiance anxiogène distillée par les médias et les pouvoirs publics. Cette crise ne doit pas aboutir à une régression des avancées sociétales face à la peur d'un lendemain encore plus incertain qu'avant. Le risque du repli sur soi existe : c'est le danger. La possibilité existe d'expérimenter plus et plus vite : c'est l'opportunité.
Concrètement, voici quelques projets qui peuvent prendre ou reprendre quelques « couleurs » dans le contexte :
. Les Réseaux Régionaux de Compétences :
Construire entre professionnels nouvellement écartés des entreprises des « réseaux sociaux professionnels régionaux » , lieux d'identification, de repérages de coopérations possibles entre compétences complémentaires. Lieux aussi d'empowerment par échanges, soutien mutuel, synergies dans les démarches.
. Les groupes de diagnostic non monétaire
A l'image des groupe no-dollar ou bourses du temps, proposer la création de groupes (ateliers ?) permettant à chacun de faire son diagnostic non-monétaire = quels sont parmi tous mes besoins ceux que je pourrais satisfaire sans dépense d'argent (biens gratuits, échange de temps, substitution, auto-production etc.)
L'idée serait d'être assez systématique (dans les besoins, dans les solutions). De le faire dans le cadre d'un groupe. De déboucher rapidement sur des plans d'action individuels.
. Une activité de conseil au cheminement administratif de projets
Face à la crise, les pouvoirs publics nationaux et régionaux semblent un peu ( !) pris de cours, sachant qu'ils sont eux-mêmes déstabilisés par leur réorganisation interne. Ils sont en même temps directement interpellés pour soutenir et accompagner les projets issus de la vie civile. C'est l'occasion peut-être de profiter de cet avantage, cette « fenêtre de tir » pour faire avancer auprès d'eux tous les projets qui méritent de l'être, en créant une ressource dédiée à l'ingénierie de projet. Son financement pourrait venir en déduction de subventions accordées aux projets.
Bien sûr, à suivre… [ndlr : Bruno sera présent le 24 janvier]
Bruno Vincenti
Financière ou économique ? Non ! La crise actuelle est d'abord politique !
Les fonds de pension et donc les « vieux » (des pays riches) à cause de leurs exorbitants besoins, sont à la base de la crise financière et des déficits publics. A cet égard, la France fait partie des pays très endettés comme la Grande-Bretagne et les USA. Mais avec au moins une grande différence. Là-bas, l'essentiel des retraites se fait par capitalisation, sans garantie de la collectivité. Ici, par répartition, la communauté nationale, se substitue aux individus pour prendre collectivement en charge cette capitalisation au nom de la solidarité entre les générations. Beau principe mais dont le corollaire devrait être que l'Etat en provisionne le montant dans son budget. Si c'était le cas, le déficit de la France apparaitrait pour ce qu'il est : abyssal .
Les allemands et les scandinaves bénéficient eux aussi de retraites par répartition. Leurs comptabilités publiques ne les prennent pas, non plus, en compte mais leurs déficits n'ont rien à voir avec le nôtre. Je crois même savoir que la Norvège a un budget en excédent ; elle place sa manne pétrolière pour ses générations futures. Chez nous, ce sont elles qui vont « trinquer ». Autrement dit la France a un déficit budgétaire compatible avec une économie libérale mais excessif compte tenu de ses engagements sociaux. Cette contradiction est intenable à long terme. Il lui faudra choisir entre devenir libérale, comme la G-B et les USA, avec un déficit public alors acceptable mais incompatible avec la garantie des retraites aux générations futures ou bien conserver ce haut niveau de protection sociale, comme l’Allemagne et les pays scandinaves, et réduire alors son déficit public.
Cette alternative devrait être clairement posée. Mais qui l'exigera ? Dans une société fondée sur l'individu, il appartiendrait logiquement aux plus concernés de faire entendre leur voix. Mais outre qu'ils ignorent tout de cette situation, on voit mal comment des adolescents ou, a fortiori, des petits enfants, pourraient le faire. La solution, au moins théorique, consisterait donc à affirmer, comme conséquence du principe de la solidarité intergénérationnelle, que tout individu vivant, quel que soit son âge, a droit au chapitre, c'est-à-dire, de voter.
Poser le principe d'un droit de vote acquis dès la naissance amène d'intéressantes questions. Pour les tous petits, par exemple, il serait naturel que ce droit soit exercé par un des parents qui, dans certains cas, en sont eux-mêmes privés ! Paradoxe mais peut-être aussi, approche intéressante sur la question récurrente du droit de vote des immigrés. Et pour les adolescents, afin de mieux les entendre, ne pourrait-on pas avancer l’âge du droit de vote ? Le lier à la validation d'un portefeuille de compétences citoyennes ? Un bon moyen pour « booster » une éducation civique qui en aurait bien besoin ?
En résumé pour que la démocratie exprime les besoins de la démographie, il serait logique que, dès sa naissance tout français ait un droit de vote (même si ses parents ne l'ont pas). Avant la majorité légale ce droit serait exprimé par sa mère (ou par une tierce personne par elle désignée) et il pourrait être exercé plus précocement sur présentation validée d'un portefeuille de compétences citoyennes. Voilà bien un voeu qui a toute chance de rester pieux ! Mais il fait réfléchir.
En attendant, laissant filer ses déficits publics, la France ne tient pas compte des intérêts légitimes de ses enfants. Son principe de solidarité intergénérationnelle risque de n'être qu'un leurre et sa politique nataliste, un piège. Le vieillissement de la population et le financement des retraites sont à la source de la crise financière actuelle. Donner du poids électoral aux enfants serait la meilleure façon de rééquilibrer celui des vieux, aujourd'hui, excessif. La cause de nos problèmes économiques (et écologiques) est politique, leur solution aussi.
Guy Emerard
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