…et si nous devenions des “citoyens entreprenants” ?

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Lettre d’info N° 38 – 19 mai 2006

Filed under: Lettres d'info — Auteur : — 7 Mai 2006 —

Le 3 juin, comme nous vous l'avons déjà dit, nous poursuivrons notre réflexion sur les citoyens et la démocratie et nous essaierons de creuser les pistes explorées le 22 avril. (Pardon pour ceux qui ont prévu de partir en week-end de Pentecôte, mais les fins de semaine sans pont sont rares ces dernières semaines !)

Cette lettre revient donc sur la journée du 22 avril avec notamment le point de vue d'un participant, Philippe Cazeneuve. Vous trouverez également des extraits d'un dialogue entre Guy Emerard et Dominique Fauconnier sur la démocratie sociale.

Cette lettre étant déjà longue, nous reviendrons vers vous début juin pour vous donner toute une série d'informations en préparation de la plénière du 16 juin à laquelle Patrick Viveret a la gentillesse de participer(nous espérons que vous avez tous déjà bloqué cette date dans vos agendas)

Après les militants, les artisans !
 

Le 22 avril avait donc lieu  la rencontre « C'est quoi faire de la politique aujourd'hui ? » C'était la première fois que nous organisions une réunion le samedi matin. Or c'était le premier jour des vacances des Lyonnais… et pour ne rien arranger le premier jour de grand beau temps ! Autant dire que je craignais des défections parmi les inscrits. Eh bien je me trompais : à 9h30, nous étions une trentaine et le tour de présentation donnait tout de suite le ton. La diversité des parcours et des âges, la qualité de l'écoute laissait escompter une rencontre « grand cru » ! Nouveaux venus ou fidèles des Ateliers, nous étions bien sur la même longueur d'onde et le « vestiaire des opinions politiques » que nous avions conçu pour inciter à sortir du débat partisan s'est révélé d'emblée une formalité inutile. Nous venions bien en tant que citoyens soucieux du bon fonctionnement de la vie démocratique plutôt qu'en fidèle d'un camp ou d'un autre. Les débats ont été studieux, à la fois graves et pleins d'une énergie positive, là où certains d'entre nous craignaient au départ que l'esprit des Ateliers ne se perde dans les querelles ou les récupérations politiciennes.
Vous trouverez bientôt en ligne sur notre site (début juin si tout va bien !) les compte-rendus des trois ateliers que nous avons organisés en parallèle. Je veux ici simplement proposer quelques pistes pour la suite. Chacun en effet en partant a bien insisté pour que l'initiative ait des prolongements, certains allant jusqu'à dire que nous aurions dû continuer les échanges l'après-midi !
Alors quelles suites ?
Plusieurs ont été évoquées à chaud : poursuivre la réflexion dans le cadre d'un nouvel atelier, créer un journal à destination des élus, mettre au point une formation des élus par les citoyens…
Le débat rapide qui a suivi ces propositions a permis de préciser l'importance de ne pas adopter une posture symétrique à celle qu'on reproche aux élus : les citoyens ne doivent pas chercher à former les élus (reproduisant ainsi la posture pédagogique que prennent souvent les élus à l'égard des citoyens). Il est apparu plus intéressant de concevoir un processus d'apprentissage mutuel par un effort de discernement collectif bien dans la manière de ce qui se fait aux Ateliers. Pour autant à la réflexion, ce travail ne doit sans doute pas se faire en atelier à quelques-uns mais plutôt par une démarche largement ouverte dans l'esprit de ce que nous imaginions à l'origine, en investissant l'espace public. Nous disposons à cet égard d'une opportunité évidente : les dialogues en humanité, auxquels le Grand Lyon nous a proposé de nous associer. Vous trouverez sur www.dialoguesenhumanite.org  une présentation de cette initiative originale portée à la fois par une personnalité, Patrick Viveret et une institution, le Grand Lyon.
Cet été les dialogues se tiendront « sous les arbres », au Parc de la Tête d'Or. Une belle occasion de reprendre notre interrogation sur le défi démocratique en croisant encore plus largement les points de vue.
 Finalement que s'est-il passé ce samedi de printemps ? sur quoi devons-nous continuer notre exploration ? Il me semble que ça se résume en une formule : nous ne nous sommes pas posés en militants de la citoyenneté, assénant « aux autre » des certitudes, nous avons cherché à devenir des artisans des nouveaux processus démocratiques. Du militantisme à l'artisanat, voilà bien la révolution que vivent les mouvements citoyens. Un artisanat que l'on sait devoir pratiquer à plusieurs, avec les élus et les associations bien sûr, mais aussi, cela a été rappelé avec force en toute fin de réunion, avec les entreprises. Citoyens entreprenants nous voilà conduits à devenir artisans en démocratie. Il y a une certaine logique, non ?!
Pour terminer sur un registre pragmatique (si, ça m'arrive), je vous propose de retenir  3 prochaines étapes :
 

          3 juin : nouvelle réunion (même format que le 22 avril) pour préciser ce que pourraient être un journal à destination des élus et un apprentissage mutuel entre élus et citoyens
           16 juin : plénière des Ateliers dont l'après-midi sera consacré à un échange avec Patrick Viveret dans la perspective des Dialogues en Humanité autour du concept de HQD (haute qualité démocratique, à la manière de la Haute qualité environnementale qui se développe dans l'habitat)
 
          7-8-9 juillet : les dialogues en humanité au Parc de la Tête d'Or
 Avec tous les matériaux rassemblés, nous pourrons alors mettre au point le numéro 0 du « journal aux élus » et la première rencontre d'apprentissage mutuel à destination de tous ceux qui accepteront d'entrer dans cette logique de dialogue.
 
HCD
 Puisque nous ne pouvons pas faire l’économie du Politique, alors imaginons une autre écologie du Politique
 
Quelques réflexions suite à l’atelier/débat organisé le 22 avril dernier.
 
Chassez le Politique et il revient au galop
Suite à deux ans de participation active et enthousiaste aux Ateliers de la Citoyenneté, j’ai l’impression d’y trouver un espace ouvert à la réflexion et à l’échange, la perspective d’une citoyenneté entreprenante, préoccupée de la vie dans la Cité, mais au-delà des clivages politiques, et des querelles de clocher associatives.
Bref, un lieu où chacun ne représentant que lui-même, parle de ses idées ou questionnements à partir de sa vie, de ses expériences, de ses projets et aspirations.Et puis voilà que, chassé de ma vie par la porte, le Politique fait irruption par la fenêtre. J’avais feint de l’oublier, comme mis entre parenthèses, pour me concentrer sur la recherche ou le perfectionnement d’autres façons de s’engager dans la vie de la Cité : engagement professionnel, militantisme associatif, choix d’une école alternative, comportement de consommateur éco-citoyen, recherche de ce que pourrait-être une « attitude citoyenne » dans la vie de tous les jours.

Mais l’actualité nationale ou internationale est souvent là pour nous le rappeler, nous ne pouvons pas faire l’économie du Politique. Impossible de vivre dans une bulle et de faire l’impasse sur ce mode d’intervention sur le monde : chassez le Politique … et il revient au galop !

Le sens profond de la politique, c’est de gérer équitablement et durablement les « biens communs » et le « vivre ensemble »
Pour moi, le métier de politique consiste à procéder à des arbitrages entre des intérêts particuliers différents et quelquefois divergents, voire contradictoires, au nom d’un intérêt général, dans le souci de prendre le meilleur soin possible des « biens communs » à tous, au sein d’une collectivité humaine déterminée.

La métaphore foncière qui fait implicitement référence aux « biens communaux » des villages d’antan, utilisés et entretenus par tous, est séduisante mais elle est trop réductrice. Comme le faisait remarquer un des participants de l’atelier/débat, il ne s’agit pas uniquement de gérer des biens matériels, mais aussi l’enjeu commun qui consiste à vivre ensemble en société, en bonne intelligence, dans le respect des différences de chacun.

Quels sont les enjeux et quel pouvoir délègue-t-on à l’occasion de tel ou tel scrutin ?
Le dernier référendum sur la constitution européenne ou les manifestations contre le CPE sont une belle illustration qu’un grand nombre de nos concitoyens parviennent à se mobiliser CONTRE un projet de loi, de constitution, de réforme… mais sont bien en peine de se prononcer POUR un quelconque projet politique.

Sans doute que ce qui est implicite et évident pour les acteurs politiques, les médias et une minorité d’initiés, (telle élection permet de désigner tel représentant qui siègera dans telle instance dont les champs de compétence et les possibilités d’intervention sont …) ne l’est pas pour beaucoup d’électeurs et qu’il y a un gros travail d’éducation civique à faire de façon permanente et concommittente aux campagnes électorales.

Quelle philosophie de la vie en société nous propose un système politique démocratique ?
Mais au delà des aspects techniques de l’organisation d’un système politique de plus en plus complexe de part l’empilement des niveaux de décision (décentralisation, intercommunalité, …), puisque nous parlons d’éducation civique, il est un autre élément plus fondamental qui permet de constituer un bon socle de « culture générale » citoyenne.

Se livrer un peu plus souvent à une réflexion philosophique sur le politique, me paraît un exercice hygiénique salutaire auquel il convient de s’astreindre avant chaque élection, un peu comme le geste du sculpteur ou celui du boucher qui affûtent leurs outils avant de s’attaquer à une pièce de bois ou de viande.

Sans remonter à l’antiquité grecque, on peut trouver une inspiration plus contemporaine ; par exemple, citons quelques formules fécondes de Martin Luther King Jr qui pour moi expriment en peu de mots, les enjeux de l’action politique qui fait évoluer les lois – «Une loi ne pourra jamais obliger un homme à m’aimer, mais il est important qu’elle lui interdise de me lyncher.» – ou encore la célèbre   : «Il nous faut apprendre à vivre comme des frères et des sœurs, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots.», qui résume assez bien un des défis permanents de l’humanité.


Imaginons ensemble une autre « écologie du politique »
Puisque l’action politique consiste à arbitrer au mieux selon le contexte, il est bien difficile aux politiques de s’engager sur des résultats à atteindre … Pourquoi ne pas plutôt mettre en avant les valeurs qui guident et fondent leur action politique et les méthodes qui vont être mise en place pour y parvenir ?

Je n’ai que faire des promesses de tel ou tel candidat, dès lors qu’il est capable de penser « qu’elles n’engagent que ceux qui y croient ». Puisque je vote pour une personne à qui je délègue le pouvoir de me représenter, il m’importe davantage de savoir les principes généraux qui l’animent, les valeurs  qu’elle s’apprête à défendre dans l’exercice de ses fonctions.

Passager d’un autocar, je n’ai que faire de l’itinéraire détaillé que va suivre le chauffeur, tournera-t-il à droite ou à gauche à la prochaine intersection ? Peu m’importe, dès lors que j’ai confiance en sa capacité à m’emmener vers ma destination finale, dans le temps imparti et dans les conditions de tarif et de confort définies à l’achat de mon billet.

C’est d’un autre univers ou environnement politique dont nous rêvons
La question que les mouvements citoyens doivent poser dès maintenant, avant le début des campagnes, alors que les partis sont encore en phase d’élaboration de leur projet et de présélection de leur candidat, est « Comment faire de la politique ? ».

Pendant la phase d’élaboration des projets et des programmes, il faudrait parvenir à inverser momentanément les rôles : que les citoyens s’expriment et que les candidats politiques écoutent.
 

C’est autour des formes de dialogue entre la Société civile et la sphère politique qu’il nous faut réfléchir, être force de proposition, initiateurs d’expérimentations. Dans quelles conditions, simples citoyens, représentants associatifs, responsables d’entreprises, élus ou candidats peuvent débattre et travailler ensemble de façon constructive, afin de nourrir utilement la réflexion des instances de décision.

Pour conclure cette réflexion, je vous livre l’extrait d’un article trouvé au hasard de mes pérégrinations sur le net, et auquel je souscris complètement. Il s’intitule « Pour une nouvelle écologie du politique » et son auteur, Daniel Le Scornet est ancien Président de la Fédération des Mutuelles de France. Le texte est tiré de son intervention au Séminaire Gauches.net qui s’est tenu au Mans le 21 Juin 2003.
(Voir le texte complet : http://www.gauches.net/article201.html)
 

La fabrique du politique par les mouvements sociaux
« Le heurt des légitimités -notamment la plus visible entre le politique et le social, mais il y en a et aura bien d’autres- auquel nous assistons, s’il prend un tour tragique sous un gouvernement de droite, serait tout aussi pesant sous un gouvernement de gauche. Même si celui-ci était mieux disposé que l’ancien, pas difficile, à prendre en compte la fabrique du politique par les mouvements sociaux.
Ce heurt des légitimités n’est pas circonstanciel. Il est structurel. Et il devrait, je pense, devenir structurant dans une nouvelle représentation de l’espace démocratique. (…) L’idée que le politique -et comme intercesseurs les partis politiques- pourrait faire synthèse du tout (qui n’existe pas), que le politique pourrait garder sa posture en surplomb sur le reste de la société, si elle a pu être utile, bien que dramatique déjà, ne fonctionne plus.
Ce n’est pas faire feu contre le politique. Mais prendre acte que sa fonction ne peut plus demeurer la même que traditionnellement perçue. Car il y a, effectivement, une immense attente de, du, politique mais certainement pas de, du politique actuel.
Et dans ce domaine, cette attente ne concerne pas uniquement les formes partidaires classiques. Ce n’est pas seulement une crise de la représentation politique mais de toutes les formes de représentation (syndicale, mutualiste, associative, ONG…). Chacune de ces formes reproduit en cascade, à sa façon, des formes de surplomb hiérarchisé avec une position « hors d’atteinte » pour la grande majorité des intéressés.
(…)
Mais il est peu probable que l’attente des populations, des personnes, soit celle de la sortie d’un « bon » programme, voire d’un projet de société. Sous les raisons qu’il n’y a pas seulement la suspicion de « pourquoi cette fois-ci ce serait le bon programme, le bon projet de société ? ».
Mais sous celle, plus fondamentale peut-être, que la population, les personnes ont comprise, intégrée que le devenir forge en temps réel, distord, chiffonne, tout projet. Celui-ci ne peut pas être défini a priori. Sauf à devoir être sans cesse « trahi ». Mais ce temps réel, sauf à s’effondrer sur nous, nécessite de multiples prises dont on est aujourd’hui démuni. D’où cette attente peu explicite, difficilement pensable, mais vive, énervée, moins d’une autre politique que d’un autre politique. »


Philippe Cazeneuve
Dialogue autour de la démocratie sociale
Démocratie sociale ?
 
La crise actuelle, après beaucoup d'autres, a le mérite d'obliger chacun de nous à s'interroger sur ce qui, en France, ne va particulièrement pas. Beaucoup d'autres pays que le nôtre subissent les contre-coups de la mondialisation et les causes du dysfonctionnement socio-économique sont assurément multiples. Mais la récurrence des conflits donne à penser qu'il doit bien y en avoir une explication plus spécifiquement française.(…)De mon modeste point de vue, je ne vois donc d'issue à l'ingouvernabilité actuelle que dans une revivification des syndicats. En fait, vu l'importance du travail et de l'économie dans notre société, il faut, à côté de la démocratie politique, une démocratie sociale.Une démocratie sociale, ça veut dire qu'une très grande proportion des salariés soit syndiquée. Pour nous, français, ce serait une révolution. Mais est-ce un si grand risque qu'on ne puisse le prendre vu la dégradation de la situation. Si l'on admet ce postulat, alors les choses sont simples : rendons quasiment obligatoire l'adhésion à un syndicat en y conditionnant, par exemple, comme en Suède, les prestations sociales contre le chômage.

L'hésitation des gouvernements et des centrales syndicales pour s'engager dans un tel processus est compréhensible. Et les révolutions viennent rarement des pouvoirs en place.

Alors, c'est peut-être vers les mouvements citoyens qu'il faut se tourner. En tous cas ils pourraient au moins poser la question de la démocratie sociale. Je pense bien sûr aux « Ateliers de la citoyenneté » d'autant plus qu'on y parle beaucoup d'économie, de travail, d'empowerment… en considérant toujours, indissociablement, « la Cité » et « l'Entreprise ».

Bon, je ne crois pas utile d'aller plus loin avant d'éventuelles réactions… car pour qu'un sujet d'une telle ambition avance, il faudrait beaucoup, beaucoup d'intelligence collective.

Guy Emerard

31 mars 2006

Démocratie sociale ? Poursuite.
Tout d'abord nous ne sommes pas des suédois, ni des hollandais. Je ne suis pas sûr que nous puissions nous syndiquer à 80 %, et le serions-nous, quel en serait l'usage français ? Je crois, pour te rejoindre, qu'il y a des permanences qui ont la vie dure, il y a probablement une forte spécificité française dans la façon d'aborder le monde.
 

Depuis quelques années, je ne peux m'empêcher de voir trois influences marquant notre identité collective. 1) L'influence franque, celle de ces tribus guerrières à qui Rome a confié le maintien de l'ordre en Gaule. 2% de la population franque ont maintenu l'ordre et le commerce romains pendant trois siècle avant l'arrivée des Carolingiens. 2) L'influence romaine qui nous a donné nos énarques et nos polytechniciens, celle qui nous a appris à classer et à organiser. Particularité que les francs ont parfaitement su utiliser. 3) l'influence gauloise dont j'ai tiré l'essentiel de l'approche métier. Les gaulois étaient experts dans le travail des métaux, ils étaient curieux et assez bordéliques. Les francs sont toujours au pouvoir, cette bande qui n'a que trop faire des autres et qui se sert des organisateurs à son seul profit mais avec peut-être moins d'efficacité qu'à l'époque. Je ne suis pas historien, je n'ai jamais lu cette thèse, mais c'est la seule qui me permette de comprendre le pays où je vis et que Molière aide plus à comprendre que Descartes.
Aujourd'hui j'ai l'impression que nous sommes en pleine léthargie, nos dirigeants comme la population.
Je crois pour ma part que c'est à nous d'inventer notre propre avenir, mais pour cela il faut du courage et de la détermination, ce que je ne vois pas poindre à l'horizon. A moins que la lassitude des discours convenus et des vieilles rengaines créent en nous l'envie de vivre des moments plus exaltants, et plus utiles. (…) Pour ma part, c'est dans mon atelier que j'œuvre en espérant produire de l'utile. C'est un travail solitaire d'un côté et collectif de l'autre. Le reste n'est pas à ma portée, le reste m'empêche de travailler à mon ouvrage, alors je le laisse hors de mon périmètre, je n'ai pas besoin d'une église laïque pour vivre. Il y a tellement de clercs parmi nous.


Dominique Fauconnier, 1er avril 2006 dans une heure cinq.
Qu'est-ce qui ne va pas ?
En fait, les évènements actuels, comme ceux de cet hiver dans les banlieues, provoquent surtout chez moi, une gêne. Ma première réaction est conservatrice : après tout, sur le plan économique, cette société française ne va pas si mal ! Alors, à ceux qui manifestent, j'aurais envie de dire: « De quoi vous plaignez-vous ? Taisez-vous et mettez-vous au travail ! ». Seulement voilà, il se trouve que pendant 12 années de ma vie, j'ai été confronté à des jeunes qui, c'est certain, se seraient solidarisés avec ce mouvement et je n'aurais pas pu me contenter de cette réponse. Entre temps j'ai fait l'expérience de la fonction publique et c'est sans doute là que j'ai le plus ressenti « l'influence romaine » dont tu parles. D'où l'illusion peut-être de vouloir trouver une solution rationnelle et durable à cette crise. Et puis, pour être honnête, il faut ajouter que je suis mal placé pour juger des difficultés des autres puisque je fais parti des nantis : « cadre (sup) à la retraite », de nos jours c'est plutôt agréable. Dès lors, il est difficile de « la ramener » . Il y a donc chez moi le souhait de préserver des acquis tout en étant persuadé que de profonds changements sont indispensables. Je suis convaincu qu'une grande majorité de mes concitoyens souhaite la même chose que moi. Je ne peux me départir d'une envie d'agir, convaincu, en plus, de posséder une certaine expertise !? La société française pâtit non pas tant de ses inégalités que de leur stabilité. Les privilégiés, le restent toute leur vie et transmettent ces avantages à leurs enfants. Comme en 1789, il faut une nuit du 4 août. Les inégalités doivent être à la mesure des différences d'efforts et de talents et devraient, comme telles, évoluer tout au long de la vie. Voilà mon principe cardinal. L'appliquer, ce serait automatiquement remettre en cause : la trop grande protection du 3ème âge surtout chez les cadres, l'entrée beaucoup trop tardive et brutale des jeunes dans la vie active, le très gros manque de promotion sociale…. Et je ne vois pour faire avancer ce genre de changements, qu'une démocratie sociale puissante, à côté de la démocratie politique.

Par conséquent, c'est vrai, « j'ai besoin d'une église (laïque)… ». D'ailleurs dans un papier que nous venons de rédiger, Hervé et moi, nous justifions ainsi la création des Ateliers de la Citoyenneté : « La démocratie montre ses limites quand les individus se servent d'abord de leurs droits pour garantir leurs libertés plutôt que de s’impliquer dans des choix collectifs. Alors, comme le pressentait B. Constant… « la liberté s’exerce dans la jouissance paisible de l’indépendance privée »… Nous nous sommes (…) libérés » de la politique, elle ne semble plus essentielle à nos vies. Le prix à payer est ce sentiment diffus de dépossession de l’avenir que ressentent les hommes quand ils cessent de s'unir pour peser ensemble sur leur destin collectif. »

C'est effectivement ce que je ressens.Guy Emerard 1 avril 2006 Ce qui n'irait pas ?
 
Pour prolonger la controverse amicale que nous avons entamée, et si j'essaie d'être fidèle à ce qui m'anime, je ne partage pas le passage que tu as écrit avec Hervé afin de justifier la création des Ateliers : « Nous nous sommes (…) libérés » de la politique, elle ne semble plus essentielle à nos vie « . Je crois que  l'idée de la politique peut également enfermer les esprits, et c'est pour cela que je n'aime pas trop les apprentis directeurs de conscience. La question est alors : qui nos réflexions peuvent-elles atteindre ? Et de quel pouvoir ces personnes disposent-elles effectivement ? Pour ma part je ne vois personne que je puisse atteindre, à part l'oreille de mon voisin de table ou de promenade. Je peux toujours m'enfermer dans une pièce, organiser un beau débat, mais qu'est-ce que cela produira ?
 

Alors je rebondis sur la « dépossession de l’avenir ». Si je dissocie ces termes des suivants « s'unir pour peser ensemble ») j'y trouve une piste de réflexion intéressante. Nous vivions, c'est ainsi que je nous perçois, dans le mythe de l'Age d'Or, en gros depuis la Renaissance. Vision très nouvelle dans l'histoire. Aujourd'hui cet écran se déchire. La Mort nous remontre le bout de son minois. Alors nous nous révoltons. Je nous trouve un peu cons. Le progrès rationnel et organisé nous entraîne dans une folle aventure inspirée par l'imaginaire. Mais que nous croyons réelle. Nous sommes des croyants. Nous croyons en l'Age d'Or. Et comme toutes les peuplades, anciennes ou non, nous sommes capables de violence pour défendre ce qui est devenu sacré à nos yeux : notre avenir. Un avenir sacralisé que nous soutenons avec la logique que nous avons empruntée en la déformant à la pensée grecque. Nous avons transformé une abstraction en réalité et nous l'avons temporalisée alors que les grecs ne séparaient pas la pensée d'un homme de ce qu'il vivait, concrètement, et que chacun connaissait. Nous nous sommes inventé un conte.
Dans ma jeunesse, Dino Buzzati avec son très beau Désert des Tartares, m'avait prévenu du danger de situer le sens de sa vie en son horizon. L'âge mûr confirme la voie que j'avais prise à l'époque : apprendre à vivre prépare à savoir mourir. C'est à cela que je travaille.
 
Dominique, 2 avril 2006
 

Depuis mon dernier envoi je me demande si je ne réagissais pas à côté
des questions que tu te posais. Tu parlais de « Démocratie Sociale » et
je te répondais « absence d’interlocuteurs. Jusque là le terrain est le même. Mais si j’essaie de revenir à ta question, je peux me demander le pourquoi d’une telle absence.
Je vois, d’un côté des personnes qui réfléchissent à partir du périmètre territorial, régional, national, communal etc. C’est l’ancrage politique historique, et de l’autre des gens qui pensent flux, monde, économie. Pour eux, le territoire n’est plus qu’une zone banalisée et interchangeable. J’avais entendu le patron d’Essilor annoncer à une cinquantaine de ses pairs, de mémoire :
« J’aime mon pays, j’aime mon entreprise et j’aime mes salariés. Mais si je devais choisir entre les intérêts de mon pays et celui de mes salariés je donnerais priorité à ces derniers. Cela peut se traduire par un déplacement de mon siège Social hors de France ».
Je ne sais pas si la « mondialisation » va modifier durablement les choses car la planète forme un tout fermé sur lui-même. Pourra-t-on l’administrer de la même façon qu’un territoire borné par des frontières ? Rien n’est moins sûr. Peut-être en resterons-nous ou en reviendrons-nous à des grandes Régions concurrentes, en guerre (commerciale, armée etc) les unes avec les autres.
Pour en revenir à la question de la Démocratie Sociale, je crois qu’elle n’est possible qu’à périmètres identiques, ou compatibles. Dans les entreprises, le droit de Travail interdit toute réflexion « constitutionnelle » puisque le salarié n’est qu’un tiers ayant passé un contrat individuel avec une société de capitaux. Tout un monde politique à reconstruire !
DF 8 / 04
Démocratie sociale (suite)
 

La démocratie a été pensée en fonction d'un périmètre territorial, comme le souligne Dominique. C'est une affaire de sédentaires, pas de nomades. Or, aujourd'hui, l'économie est mobile. Il y a peut-être bien une disjonction croissante entre l'intérêt du territoire et celui de l'entreprise et donc entre la politique et l'économie. « Ce qui est bon pour Coca-cola est bon pour l'Amérique ! », c'est fini (ou presque ; le cas des Etats-Unis étant peut-être un peu à part vu leur hégémonie financière). Ceci me fait penser que l'utopie d'un gouvernement mondial est probablement absurde ; ce serait la source d'un pouvoir lointain et donc tyrannique . Sachant que la meilleure gouvernance se trouve dans la séparation des pouvoirs, ne vaut-il pas mieux chercher dans la voie d'une meilleure prise en compte des intérêts des salariés ? C'est un peu ce que je veux dire en parlant de « démocratie sociale ». Comment raisonner cette affaire ? Avec une base territoriale ? Non, c'est dépassé ! Pourquoi ne pas prendre tout simplement l'entreprise comme entité de base ? A cela Dominique objecte que « le droit du travail interdit toute réflexion constitutionnelle puisque le salarié n'est qu'un tiers » ; si on le comprend bien (et je crois que c'est le cas) le salarié ne fait pas partie de l'entreprise, il lui est lié par un contrat mais il en est extérieur à la différence de l'actionnaire. C'est juridiquement vrai mais contraire à la réalité « politique » : bien souvent les salariés se donnent le nom de leur « boîte ». Souvenons-nous des « Lips », par exemple. Pouvons-nous creuser utilement ce questionnement dans les « Ateliers » ? C'est en fait ma proposition parce que j'observe que, dès le début, les questions touchant au travail et à l'entreprise ont été au cœur de nos discussions. Et avec des concepts comme « entreprise citoyenne » ou « citoyenneté entreprenante », ne tournons-nous pas autour de ce pot ? Guy Emerard9 Avril 2006  Démocratie Sociale : à qui nous adresser ?
« Comment raisonner cette affaire ? » demandes-tu. Et pour cela, « pourquoi ne pas prendre tout simplement l'entreprise comme entité de base ? ». Je partage avec toi l'idée que le fait que le salarié ne fasse pas juridiquement partie de l'entreprise ne l'empêche pas d'en faire politiquement partie.
A partir de là que faire et que dire ?
La voie constitutionnelle avait été explorée par Roger Godino (Voir « Les sept piliers de la réforme, Albin Michel 1997, notamment le chapitre «intitulé Libérer l'entreprise »). Je ne sais pas si c'était lui qui était à l'origine d'une tentative à laquelle avait participé Didier Livio consistant à fonder juridiquement l'entreprise sur l'idée de la rencontre entre du capital, du travail et, je crois, une capacité d'entreprendre. On aurait eu là un accord « constitutionnel» entre trois acteurs collectifs : les dirigeants, les salariés et les actionnaires. La tentative a avorté. L'initiative était intéressante et reste à faire connaître plus largement.
La question que je posais est celle de l'accès aux décideurs  Pour ma part, je ne l'ai pas. Je n'ai que le pouvoir d'en parler au bistro avec des copains.
Il y a un vrai travail éducatif à faire entre nous. Je pense toujours à cette forme de compagnonnage moderne qui vise à apprendre un métier que nous ne connaissons pas encore et qui correspond à une « mise en déséquilibre » de soi. Un compagnonnage de l'avenir qu'il nous reste à construire et s'appuyant sur un présent instable et imprévisible. Un pur volontarisme. C'est le sens du mot atelier pour moi, une façon d'attraper le présent et de le travailler concrètement.
Alors faut-il que nous « creusions ce questionnement dans les ateliers » ? Je ne sais  pas. Encore une fois, quelles oreilles touchez-vous ? Et pour obtenir quoi ? Je dis « vous » car j'ai réinvesti mon propre atelier pour refaire de la politique à ma façon. Si je voyais ces réflexions intéresser des personnes d'entreprises, des personnes venant d'un univers différent de celui du monde associatif, je réagirais différemment.
Oui, la politique est un beau métier . . . que nous ne pratiquons plus. Si ces ateliers pouvaient être un lieu de leur apprentissage, oui, ce serait utile. Mais – je suis volontairement provoquant – en sont-ils capables ?
Dominique Fauconnier, Paris, le 17 avril 2006.
Postface : démocratie SOCIETALE
Juste 3 points sur lesquels je souhaite apporter un éclairage complémentaire :
Je me demande si la distinction démocratie politique / démocratie sociale
est toujours pertinente. N’est-ce pas justement de l’enfermement de chacun dans son champ que vient l’actuelle stérilité de la démocratie ?
Pas plus que je ne crois à  l’obligation du vote pour régénérer la vie politique, je ne crois à l’obligation de se syndiquer pour renforcer le dialogue social. Ne faut-il pas chercher la voie d’une démocratie sociétale où la diversité des acteurs seraient amenés à dialoguer ?
Ca m’amène à mon deuxième point : face à la mondialisation, la
démocratisation ne peut pas se passer des territoires. Oui les entreprises
ont des horizons mondiaux, pour autant les personnes qui y vivent sont
situées dans l’espace. Le territoire local, le bassin de vie et d’emploi, me
paraît aujourd’hui l’espace le mieux à même d’organiser cette démocratie
sociétale, place publique ouverte à tous les acteurs qui s’y trouvent (chefs d'entreprise, salariés et syndicats, élus locaux et associations, collectifs organisés ou éphémères d'habitants) … sans qu’on leur demande de se couper de leurs réseaux mondiaux, au contraire, en y puisant points de vue extérieurs et innovations sociétales.
Et nous dans tout ça ? mon troisième point se veut une réponse aux doutes légitimes de Dominique.
Les Ateliers peuvent aider aux prises de conscience qui permettent d’agir.
Nous ne cherchons pas à « atteindre » je ne sais quel décideur. Je crois que nous sommes tous des décideurs là où nous sommes. Nous pouvons initier dans nos entreprises l’intérêt pour le dialogue sociétal, la prise en compte des
environnements qui font nos vies. Pour moi la démocratie sociétale, c’est construire des projets personnels/collectifs qui améliorent nos modes de vie à partir de nos pratiques (consommation, déplacements, énergie, choix
d’orientation, équilibres entre les diverses activités professionnelles, sociales, personnelles…). Pas un de ces projets ne peut être mené sans articuler du public et du privé, de l’économique et du social, du local et du réseau. La démocratie doit résoudre ce paradoxe : être à la fois inscrite
dans un territoire et déterritorialisée. Nous pouvons y contribuer.
HCD 5 mai 06
Juste 3 points sur lesquels je souhaite apporter un éclairage complémentaire :est toujours pertinente. N’est-ce pas justement de l’enfermement de chacun dans son champ que vient l’actuelle stérilité de la démocratie ?Pas plus que je ne crois à  l’obligation du vote pour régénérer la vie politique, je ne crois à l’obligation de se syndiquer pour renforcer le dialogue social. Ne faut-il pas chercher la voie d’une démocratie sociétale où la diversité des acteurs seraient amenés à dialoguer ?Ca m’amène à mon deuxième point : face à la mondialisation, ladémocratisation ne peut pas se passer des territoires. Oui les entreprisesont des horizons mondiaux, pour autant les personnes qui y vivent sontsituées dans l’espace. Le territoire local, le bassin de vie et d’emploi, meparaît aujourd’hui l’espace le mieux à même d’organiser cette démocratiesociétale, place publique ouverte à tous les acteurs qui s’y trouvent (chefs d'entreprise, salariés et syndicats, élus locaux et associations, collectifs organisés ou éphémères d'habitants) … sans qu’on leur demande de se couper de leurs réseaux mondiaux, au contraire, en y puisant points de vue extérieurs et innovations sociétales.Et nous dans tout ça ? mon troisième point se veut une réponse aux doutes légitimes de Dominique.Les Ateliers peuvent aider aux prises de conscience qui permettent d’agir.Nous ne cherchons pas à « atteindre » je ne sais quel décideur. Je crois que nous sommes tous des décideurs là où nous sommes. Nous pouvons initier dans nos entreprises l’intérêt pour le dialogue sociétal, la prise en compte desenvironnements qui font nos vies. Pour moi la démocratie sociétale, c’est construire des projets personnels/collectifs qui améliorent nos modes de vie à partir de nos pratiques (consommation, déplacements, énergie, choixd’orientation, équilibres entre les diverses activités professionnelles, sociales, personnelles…). Pas un de ces projets ne peut être mené sans articuler du public et du privé, de l’économique et du social, du local et du réseau. La démocratie doit résoudre ce paradoxe : être à la fois inscritedans un territoire et déterritorialisée. Nous pouvons y contribuer.HCD 5 mai 06 
 

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