une lettre courte, comme un avant-propos à notre rencontre de samedi… une invitation à ne pas passer à autre chose, même si la tentation est forte, comme à l'issue de chacun de nos psychodrames politiques.
Ne reste-t-il qu'un petit bout de caoutchouc ?
La crise du CPE est finie. Les 3 lettres maudites ont disparu en quelques heures après avoir occupé la Une pendant des semaines. On semble guère avoir d'autre alternative que la gueule de bois d'après crise politique ou la préparation des vacances d'été. Un an à tenir avant la présidentielle, un an !
Nos crises ressemblent de plus en plus à ces baudruches que l'on gonfle, gonfle, gonfle… on finit par ne plus voir qu'elles. Et puis elles explosent, et il ne reste rien, juste un petit bout de caoutchouc distendu et déchiré. Je crois que ce sentiment de vacuité, ce « tout ça pour ça », tient à la triple indigence de ce que nous avons vécu : indigence d'abord du CPE, mesurette partielle, centrée sur un public qui croule déjà sous les dispositifs spécifiques, incapable d'introduire en France la flexsécurité dont elle prétendait être la première étape ; indigence ensuite de la lutte des jeunes qui n'ont pas su passer d'une « lutte contre » à une « lutte pour » alors qu'ils auraient pu nous conduire collectivement à amorcer cette remise à plat indispensable des modalités de la sécurité de la vie active ; mais indigence tout autant de nous tous qui avons laissé ces jeunes s'enfermer dans un combat qui ne pouvait mener qu'à la victoire amère d'un retrait sans perspective. Finalement ils nous ont bien distrait ces étudiants en AG qui secouaient leurs mains pour manifester leur adhésion, qui s'exprimaient si bien sur les plateaux TV avec leurs belles gueules et leurs airs graves. Mais en quoi les avons-nous aidés à faire œuvre de discernement ?
Qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi, crise après crise, retombe-t-on au même point ? avril 2002, mai 2005,mars 2006 : l'insatisfaction, le rejet s'expriment, l'espoir aussi d'un autre monde possible… et puis rien. On continue comme avant…
Pour moi, je crois de plus en plus que nous manquons de foi et de courage. Foi dans notre capacité collective à dessiner de notre avenir, courage de penser en sortant des schémas existants.
Au cours d'une réunion entre acteurs associatifs et parlementaires, organisée sur l'initiative de Jean-Pierre Worms, je n'ai pas pu me retenir d'apostropher les députés présents. Ils constataient avec résignation que les gens dans leurs permanences leur demandaient toujours plus de lois, sur des sujets parfois anecdotiques… et qu'ils étaient bien obligés de répondre à cette attente. Je me suis emporté : « Vous n'avez pas le droit de vous contenter de la situation. Vous avez le pouvoir de faire …ou de ne pas faire la loi. Si vous estimez qu'une loi ne se justifie pas, il vous appartient d'organiser le débat pour que des solutions alternatives soient trouvées. Faites délibérer les gens au lieu de les écouter un à un dans vos permanences ! Vous avez le pouvoir, arrêtez de dire votre impuissance ! » Quand les élus eux-mêmes ne croient plus à leur mission, on ne peut pas l'accepter sans réagir.
Encore un témoignage personnel. Avec des amis qui découvraient Lyon, j'étais assis au soleil sur les gradins de l'amphithéâtre de Fourvière, le dimanche qui a suivi l'intervention de Chirac sur la promulgation/suspension de la loi. A un lycéen qui s'opposait au CPE et me demandait de l'argent pour imprimer des tracts, j'ai tenté de faire comprendre que ce n'était plus d'actualité. L'urgence était à la reprise des cours mais aussi à un travail de fond sur ce qu'il fallait faire pour que les études ouvrent des perspectives d'emploi, pour que l'entrée dans la vie professionnelle se passe mieux,… Je l'invitais à poursuivre son engagement sous d'autres formes, moins revendicatives, plus constructives. Je crois qu'il était étonné de mon discours et un peu désarçonné quand je lui disais qu'ils passaient à côté de la véritable délibération alors qu'il avait l'impression d'avoir beaucoup réfléchi à l'avenir, motion après motion avec des votes sur chaque argument.
Oui, je crois que la France est un pays qui a encore le goût de la politique. Tant mieux ! Mais faisons-en vraiment. Sans nous en remettre totalement à nos représentants mais sans non plus les mépriser, au contraire, en les poussant à exercer pleinement le pouvoir que nous leur confions ! Sans nous contenter non plus de notre cycle habituel de fièvre contestatrice suivie d'une démobilisation massive.
Nous avons « une année utile » (pour paraphraser notre Premier ministre) pour penser le type de démocratie dont nous voulons. Nous sommes très nombreux, dans de multiples mouvements convergents, à vouloir réfléchir à ce que Patrick Viveret nomme la «HQD, Haute Qualité Démocratique » comme on parle maintenant de HQE (haute qualité environnementale).
Pour ma part je ne vois pas moins de 7 chantiers complémentaires qui peuvent contribuer à cette HQD.
– développer l'empowerment du citoyen ( capacité de discernement et d'initiative)
– impliquer directement les citoyens dans la délibération des affaires publiques (conférences de citoyens, sondages délibératifs, voire tirage au sort des représentants)
– créer des dispositifs permettant aux citoyens de mettre des questions à l'ordre du jour du débat public
– permettre aux citoyens de participer à la désignation des candidats aux élections (primaires ouvertes)
– distinguer 2 modes d'action publique complémentaires (la loi et le « plan de mobilisation sociétale »)
– mettre en place des modalités d'évaluation citoyenne de l'action publique
– imaginer des mécanismes permettant aux citoyens d'être considérés comme des parties prenantes de la production de l'information.
Je ne développe pas ici. Samedi 22 avril, nous avons un premier rendez-vous pour débattre autour de la question : « c’est quoi faire de la politique aujourd’hui ? pour une approche citoyenne non partisane du débat électoral ». J'espère que nous nous y retrouverons nombreux et que nous pourrons reprendre ces questions, et toutes celles que vous amènerez, pour contribuer à cette indispensable ré-interrogation de notre modèle démocratique.
Hervé Chaygneaud-Dupuy
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