Malgré l’emballement médiatique et politique, malgré les faillites, les personnes directement affectées par la perte de leur emploi ou de leur logement, la crise financière conserve encore un côté un peu irréel. Les sommes en jeu difficilement concevables, la possibilité pour des Etats que l’on dit déjà surendettés (France ou Etats-Unis) de mobiliser ces sommes alors qu’ils ne peuvent rien faire pour les plus démunis d’entre nous, sont les raisons les plus immédiates de notre incompréhension. Plus fondamentalement, je crois, notre malaise vient de ce que nos certitudes sont ébranlées extrêmement profondément. Notre monde fait tout pour donner l’apparence de la solidité, de l’évidence incontestable… et l’on découvre qu’il est construit sur ce qui est le plus vulnérable qui soit : la confiance, ou plutôt la foi aveugle que tout continuera toujours comme avant. Hier le système apparaissait d’une solidité à toute épreuve, aujourd’hui d’une extrême fragilité. C’est un peu comme après mes premiers cours de physique : j’apprenais que la table de classe sur laquelle je posais mes coudes depuis des années et qui me semblait la veille encore si compacte, cette table était en fait composée essentiellement … de vide, les atomes qui la constituait n’étant eux-mêmes que très peu de matière et beaucoup de vide. Du vide, de l’énergie et de la vitesse, n’est-ce pas là ce qui caractérise l’économie financière ? Seul le mouvement fait tenir le système, le problème me semble-t-il tient au fait qu’à l’inverse du système physique (pardon aux plus scientifiques d’entre vous de mes comparaisons peut-être hasardeuses), le système financier ne fonctionne pas à vitesse constante mais à vitesse croissante. Toujours plus vite, toujours plus mondial, toujours plus profitable ! Le moteur du système n’est pas la circulation mais l’accumulation. L’insatiabilité a emballé le système.
Pourquoi tous les freins imaginés aujourd’hui (régulation, retour de l’Etat garant,…) ne paraissent plus du tout à la hauteur de l’enjeu ? Pourquoi a-t-on le sentiment que toutes les digues édifiées à coûts de centaines de milliards virtuels ne résisteront pas ? Pourquoi regardons-nous déjà avec un scepticisme résigné l’agitation de nos dirigeants face à une crise qu’ils nous présentent comme une « catastrophe maîtrisable » se dépêtrant mal de la contradiction fondamentale de cet oxymore ?
Sans doute parce que nous savons que la cupidité dénoncée chez les puissants avec une rage légitime, nous n’en sommes pas non plus exempts, à notre mesure. Chacun d’entre nous. N’avons-nous pas tous pris conscience que notre monde allait dans le mur par notre mode de consommation (toujours plus de biens et de services, toujours moins chers) ? Si je vais au bout de ce que je subodore, j’en arrive à penser que nous sommes collectivement tout autant affolés et soulagés que la purge vienne. L’indigestion est là. Nous ne croyons plus aux vertus du monde que nous avons construit. Notre crise de foie est une crise de foi.
Nous n’échapperons pas à la question tellement simple qu’elle n’est plus discutée collectivement : dans quel monde voulons-nous vivre ?
Hervé Chaygneaud-Dupuy
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