…et si nous devenions des “citoyens entreprenants” ?

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Lettre d’info n° 36 – 22 mars 2006

Filed under: Lettres d'info — Auteur : — 7 Mar 2006 —

La question de l'énergie est vitale : plusieurs membres des Ateliers ont commencé de développer un point de vue de citoyen sur le sujet. Un débat s’est engagé à l’initiative de Christine Lecerf  et s’est prolongé avec les contributions de Guy Emerard et de Jean-Pierre Reinmann. Par ailleurs, je me suis permis de vous faire partager quelques idées noires… pour mieux (je l'espère)  pointer l'importance de ce que nous faisons ensemble. Vous lirez enfin un texte que Philippe Breton m'a autorisé à reproduire où il s'interroge sur notre (in) capacité à débattre. Son analyse des Lumières n'est pas « politiquement correcte » et c'est assez stimulant. Bonne lecture. HCD

Sommaire :
          P 1 à 3 : texte de Guy Emerard « L’énergie, une question citoyenne ? »
          p 3 à 4 : texte de Jean-Pierre Reinmann « Apprendre à gérer l’énergie comme citoyen »
          p 4 à 5 : texte de Hervé Chaygneaud-Dupuy « Doutes… »
          p 5 à 7 : texte de Philippe Breton  » Sait-on encore débattre ? »
          p 7 : nouvelles de nos partenariats et agenda des AdC : RDV mensuels et deux évènements exceptionnels à noter dès à présent !
 

L'énergie, une question citoyenne ?

En l'an 2000, les 6 milliards d'êtres humains que nous étions sur cette Terre, ont consommé 10 milliards de tep (tonne équivalent pétrole) ; soit 1,7 tep/terrien. Avec de profonds écarts (8 pour un américain, 3,5 pour un européen, 0,5 pour un indien).

Essayons de nous représenter les choses à l'échelon d'une famille « française moyenne » :

          chauffage : 4000 l. de fuel par an soit environ 2 tep,

          déplacements domestiques : 40000 km sur 2 voitures à 7 l/100 km soit 1,5 tep,

          électricité pour l'eau chaude, l'électroménager… 1 tep

          à ces consommations domestiques, faciles à identifier, s'ajoutent toutes celles dont nous n'assumons pas directement le coût : au bureau, à l'école, à l'atelier…, pour nos déplacements professionnels ou de loisir, en train, bus, avion… plus toute l'énergie « cachée » mais indispensable pour produire, transformer, stocker, transporter… ce que nous avons consommé ou rejeté.

Bien vite, les 14 tep sont atteintes par une famille de quatre personnes, soit 3,5 par personne.

A l'échelle mondiale les 80 % de cette consommation proviennent des réserves fossiles (pétrole, charbon, gaz), 5 % de centrales nucléaires et 15 % de ressources renouvelables (hydraulique et éolienne d'une part, du bois et autre biomasse d'autre part). En France,  comme on sait, la part de l'énergie fossile est moindre et celle du nucléaire, en revanche, sensiblement plus élevée.

Le point de vue éthique rejoint le principe de précaution pour considérer qu'il n'est de bonne énergie que renouvelable. Renouvelable ça revient à dire venant du soleil sous forme directe de chaleur et de lumière ou indirecte d'eau de ruissellement, de vent ou de biomasse.

La quantité de rayonnement solaire –à condition de savoir l'exploiter efficacement- dépasse de très loin les besoins des terriens. Il y a cependant un hic : on ne peut stocker ni la lumière, ni la chaleur.

Par photosynthèse, avec le soleil, la nature sait faire des végétaux qui se sont transformés au cours des ères géologiques en énergie fossile. Le processus est très lent et le rendement faible. Hier comme aujourd'hui, les plantes ne récupèrent que de 1 à 3 % du rayonnement solaire. La biomasse actuelle que l'on désigne parfois sous le nom de  « pétrole vert » ne constitue pas  une réponse à notre boulimie énergétique. Nous consommons  en un  an 400 fois ce que la terre produit dans le même temps (ce chiffre me paraît fort mais je l'ai vu dans un article récent ; quoi qu'il en soit je suis certain que la disproportion entre production et consommation instantanée reste très élevée). Par conséquent le bois pour le chauffage ou le colza pour les moteurs, ne seraient, en l'état actuel de la consommation que des solutions  marginales.

Alors que faire ?

Primo : consommer moins. Ce qui ne veut pas dire être moins nombreux ou revenir à la lampe à huile. Les télécommunications, par exemple, peu gourmandes en énergie, permettraient de faire, si on le voulait vraiment, d'énormes économies. C'est la volonté politique qui fait défaut … parce que, probablement, la conscience citoyenne n'y est pas.

Secundo (c'est-à-dire après) : développer les énergies renouvelables. L‘énergie hydraulique est la plus facile à domestiquer et une bonne part de son potentiel en grosses installations est déjà exploité ; en revanche il y aurait beaucoup à valoriser en micro réalisations. Pour le vent, c'est un peu pareil en un peu plus compliqué. Certains pays comme le Danemark montrent le chemin, notamment en off-shore. Dans les deux cas les turbines ou les pales actionnées par l'eau ou l'air font tourner des générateurs d'électricité… que l'on ne sait pas (encore) stocker.

D'où l'importance de ce qui se passe en Islande, une terre froide sur un sous-sol chaud. On y teste à grande échelle la transformation de la géothermie (une énergie semi-fossile… mais bon…) en électricité ; laquelle,  par hydrolyse, produit de l'hydrogène. Plus dangereux (pour l'instant) à stocker, transporter et distribuer que le pétrole et ses dérivés mais encore plus efficace qu'eux pour alimenter de petits moteurs thermiques. Et surtout sans rejets polluants, puants ou à effet de serre…

Quand cette expérience aura abouti –c'est imminent- le cercle technologique vertueux (soleil =>électricité=>hydrogène) pourra être bouclé à grande échelle. Car ce que la géothermie peut faire, les piles photovoltaïques le pourront encore plus aisément. Sans aller jusqu'à en installer dans tous les déserts ensoleillés, le rendement de ces piles permettra aisément de couvrir les besoins de l'humanité. Même en tablant sur une consommation bien plus élevée dans les pays pauvres ce qui n'empêcherait pas de vouloir de la modération ailleurs, j'y reviendrai.

Je crois donc (en même temps que je le crains) au scénario suivant. Les zones les plus propices à une vaste exploitation photovoltaïque sont les déserts. Ils sont « tenus », comme le pétrole, par des régimes autoritaires et souvent corrompus. Les moyens financiers et les techniques-clés sont ceux que maîtrisent les grandes firmes pétrolières. Il s'agit d'électrolyser de l'eau (au lieu de distiller du pétrole brut), de stocker, transporter et distribuer de l'hydrogène à la place de l'essence et du gazole. Les mêmes acteurs qui contrôlent aujourd'hui les territoires, les techniques et les moyens d'investissement du « tout pétrole » me semblent donc être ceux qui contrôleront demain le « tout hydrogène ». Une transformation identique, assez naturelle en somme, peut s'imaginer, à l'autre bout de la chaîne pour les industries de l'automobile. Pour moi donc, la structure du complexe énergético-industriel peut très bien ne pas changer en cas de passage du pétrole à l'hydrogène ; cette stabilité en accroît la probabilité. Je crains donc que les mêmes logiques prolongent la boulimie énergétique actuelle en cas de passage du pétrole à l'hydrogène et c'est en même temps ce qui le rend plausible.

Or la pollution mentale est bien plus néfaste que celle de l'atmosphère. L'hydrogène peut faire reculer celle-ci mais pas celle-là. Le bon antidote relève à la fois d'un comportement personnel et d'une volonté politique ; c'est donc une question de citoyenneté.

Comment chacun pourrait-il consommer moins pour réduire son empreinte écologique, par choix et pas forcément par nécessité puisque tout porte à penser que la logique du « consommez toujours plus » va encore prévaloir pendant un certain temps.

Je reviens donc à ma « famille française moyenne » :

·          sur le chauffage domestique, les marges d'économie sont très élevées notamment par l'isolation. On doit pouvoir viser 1 tep par famille et par an, eau chaude comprise en généralisant les capteurs solaires.

·          pour les transports le choix voiture/bus ou train devrait toujours intégrer une idée simple. Un car ou un train pleins (même un TGV) c'est du 1 l/100 km/voyageur alors qu'en voiture pleine, on  descend difficilement en dessous de 2 l/100 km/voyageur. Ce qui veut dire que pour les petits trajets, disons moins de 2 km, il faut privilégier la marche à pied (10 mn/km sans soucis de stationnement…) et rendre la ville au piéton. Et à l'égard des transports en commun, il faut que les usagers imposent leur présence dans la négociation employeurs (souvent publics)/employés. Pour les transports aériens extrêmement polluants et coûteux (jamais moins de 10 l/100 km/voyageur, même en remplissage total) il faudrait se modérer. C'est ennuyeux parce que les voyages sont très utiles économiquement et plus encore pour l'ouverture d'esprit mais peut-être faudrait-il se tourner davantage vers les trains et les bus là où les infrastructures existent. La vitesse n'est pas une fin en soi. On doit donc pouvoir  réduire facilement de 30 à 50 % la consommation actuelle.

·          Pour les « consommations cachées », je ne vois pas comment échapper à la réglementation. Par exemple, comme cela se fait, ai-je cru le lire, en Suède, pourquoi ne pas remplacer les services de ramassage des poubelles par l'obligation faite à chacun de gérer ses déchets. Il s'agirait d'installer des aires de tri notamment dans les zones commerciales d'où partent tant d'emballages coûteux et superflus. Sûr que si chacun devait les éliminer, chacun veillerait à en refuser beaucoup. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres mais là encore les économies potentielles sont énormes.

Autrement dit il est certainement possible de réduire de 3,5 à 2 tep la consommation énergétique moyenne par européen. Il y aurait des risques pour un pays s'aventurerait seul dans cette voie. Mais si toute l'Europe s'y mettait, elle générerait une référence par le haut à laquelle les autres grandes régions du monde, peu à peu, se rallieraient. On en a l'exemple pour la normalisation : presque partout la norme européenne finit par l'emporter. Je me l'explique par la diversité européenne qui alourdit la recherche du consensus mais en garantit la force.

Je crois sincèrement à la pertinence de scénarios de ce genre mais il faudrait évidemment en discuter, d'abord dans des groupes citoyens pour en valider le bien-fondé, montrer qu'avec des idéaux de ce genre, on respire tout de suite mieux… afin que les politiques s'en emparent sans en faire des exclusivités partisanes (ce qui pose problème dans les partis écologiques). 

Guy Emerard
 

Apprendre à gérer l’énergie comme citoyen
 

Le papier de Guy de la semaine dernière m’a inspiré quelques réflexions complémentaires aux siennes, que voici.
Les énergies fossiles ont été à la base du développement économique du monde depuis 200 ans: elles réunissent plusieurs caractéristiques très fortes qui expliquent leur succès.

D’une part, elles sont très concentrées: l’équivalent de 1 kg (soit 1.3 litres) de pétrole donne 12 kWh. La même énergie sous forme mécanique (énergie cinétique) est représentée par une masse de 100 tonnes à 100km/h ! Sous forme électrique il faut 300 kg de batteries pour la contenir, et sous forme thermique cela représente 200 litres d’eau chauffée de 50°C.

D’autre part elles sont facilement stockables: des cuves en acier suffisent pour le pétrole, un terre-plein pour le charbon… Seul le gaz demande un peu plus de « plomberie » mais aujourd’hui on sait faire sans problème. En comparaison, le stockage de l’hydrogène exige actuellement un réservoir de 20 kg pour stocker 1 kg d’hydrogène comprimé à 200 bars, équivalent à 1 kg de pétrole.

Enfin et surtout, elles sont peu chères: le kWh coûte 10 centimes d’Euro sous forme d’essence, 15 centimes sous forme électrique et 30 centimes sous forme de bois. Si nous devions payer un travailleur à pédaler au SMIC pour entraîner notre machine à laver ou une génératrice, celui ci nous fournirait 200 W x 1600 h par an soit 320 kWh par an pour un salaire annuel chargé de 20 000, ce qui remettrait le kWh à 62 €… Le faible coût dans l’absolu du pétrole tient au fait que celui-ci a longtemps été conçu comme une ressource inépuisable, et que les pays occidentaux ont tout fait pour contrôler leurs sources d’approvisionnement.

Ces trois caractéristiques expliquent le pillage actuel des ressources en hydrocarbures de la planète: on prédit que la moitié de ces ressources aura été consommée vers 2040-2050, alors que leur consommation continue de s’accroître avec la montée en puissance de la Chine et de l’Inde entre autres. L’approche de ce point symbolique se traduit déjà par le renchérissement (très relatif) auquel nous assistons depuis quelques années: croyons bien que cette tendance va croître et embellir dans les années qui viennent.

D’un côté c’est une très bonne nouvelle: en effet le déstockage brutal en 200 ans de milliards de tonnes d’une énergie chimique aussi concentrée que charbon, pétrole et gaz a dégagé d’une part des milliards de tonne de CO2, gaz qui participe au réchauffement de la planète, et d’autre part des milliards de milliards de calories, chaleur qui participe aussi au réchauffement de la planète… La fin prévisible de cette gabegie est donc « une ardente obligation »: ne reste à souhaiter qu’elle intervienne le plus vite possible. « Dans l’absolu », vive le litre d’essence à 10€ ou à 50 € le litre ! La voiture donnée en prime pour l’achat de 10 pleins d’essence !

De l’autre côté, c’est une très mauvaise nouvelle: comment nos économies occidentales peuvent-elles s’adapter à la fin d’une énergie aussi abondante, facile et économique ? Pire, comment le reste du monde, c’est à dire la majorité, peut-il espérer accéder à un niveau de vie « moderne » si l’énergie devient rare et chère ? Et n’espérons pas nous en sortir en considérant que les modes de vie ancestraux (portage des outres d’eau, débitage du bois à la hache, lavage du linge dans la rivière, éclairage à la lampe à huile, chauffage devant l’âtre, etc…) peuvent massivement retrouver du charme par magie … N’espérons pas non plus que la baguette magique de la technologie nous sortira par surprise de son chapeau une solution miracle: la fusion nucléaire en est encore au stade du montage d’expériences tout à fait incertaines, les autres idées n’existent qu’en science fiction, et d’une façon générale, toute technologie met au moins 30 ans à mûrir après qu’on l’ait inventé ==> pas de solution de masse disponible sur étagère avant 50 à 100 ans !

Alors, quelles sont les voies ouvertes pour disposer d’une énergie sans effet pervers et en quantité suffisante à l’échelle de la terre ?

Il n’y a bien sur pas de réponse rapide et facile, et c’est bien en cela qu’une démarche collective de réflexion et de transformation de notre monde et de nous-mêmes dans ce monde, bref une démarche citoyenne, est nécessaire.

En effet il y a beaucoup de possibilités mais aucune n’est suffisante à elle seule: toutes apportent des solutions magnifiques mais limitées. Aucune ne sera aussi concentrée, facilement stockable et aussi économique que le pétrole…

Tout d’abord, la façon la plus simple de réduire la production nécessaire est de… limiter notre consommation: moins utiliser sa voiture, moins manger de viande rouge, baisser le thermostat du chauffage de sa maison, autant d’actes qui font facilement baisser la consommation d’énergie primaire de 10 à 40 %. Dans ce sens, on pourrait légitimement accuser de « dilapidation de l’héritage énergétique mondial », le bobo qui roule en Porsche Cayenne, qui n’imagine pas un repas sans côte de bœuf et qui part aux Seychelles dès qu’il a trois jours de congés…

Ensuite, les sources d’énergie ne faisant pas appel au pétrole sont nombreuses: l’éolien, l’hydraulique, le solaire, la géothermie, la production de biomasse pour la combustion sont des techniques souvent parfaitement mises au point, mais dont aucune ne peut concurrencer un kWh à 10 centimes d’euros… En ce sens, l’augmentation des tarifs du pétrole est une très bonne chose car elle restaure la compétitivité économique des autres solutions.

Enfin, ces sources alternatives ont une double vertu. D’une part, elles forcent à gérer au lieu de consommer: on fait plus attention à ce qui reste du tas de bois qu’on a coupé soi-même qu’on ne se soucie du niveau de fuel de la cuve du chauffage central collectif ! D’autre part, elles privilégient l’emploi: leur construction, leur réglage et leur maintenance demandent plus de travail que l’extraction quasi automatisée du gaz russe par exemple, et ce travail est fourni local. Le plombier polonais ne donne pas de rendez-vous avant le mois prochain…

On peut donc penser aujourd’hui qu’une réunion de moyens très diversifiés, dont une part de pétrole et même de nucléaire, alliée à une réduction de notre consommation permettraient d’atteindre (plus ou moins vite et bien…) un nouvel équilibre plus respectueux du long terme tout en étant économiquement jouable.

Mais toutes ces possibilités ne sont pas encore vécues dans nos têtes comme de « vraies » exigences : pourquoi remettre en cause des façons de faire qui ont le mérite de marcher et d’être encore économiquement très supportables, même si on sait intellectuellement qu’elles ont peu d’avenir ? Aucune loi ne peut nous forcer à cet abandon et c’est bien en cela que le travail à faire constitue une démarche citoyenne : formation pour maîtriser les éléments utiles, réflexions et débats alimentant notre fameux « discernement collectif » et bien sûr aussi, mais pas que, travail vers le monde politique pour le pousser à prendre les macro-mesures utiles à l’échelle nationale, européenne et mondiale.

Dans ce sens, il me semble qu’il serait utile de produire collectivement au sein des Ateliers un premier manifeste sur les points dont nous sommes déjà sûrs : impasse écologique de « l’économie tout pétrole », existence de solutions alternatives, nécessité de concevoir des scénarios mixtes, besoin d’une formation sociale à ces questions. L’atelier « déplacements » travaille déjà sur ces idées et imagine la production d’une BD sur ces thèmes.

Un dernier mot autorisant l’optimisme sans méconnaître pour autant la nature fondamentalement dramatique de l’histoire : à l’instar d’Alain de Vulpian, je suis frappé par l’irruption puis l’enracinement en moins de quarante ans d’attitudes et d’idées qui étaient jugées stupides, utopiques ou tout simplement inutiles quand j’étais ado : écologie, parité hommes/femmes, antiracisme, Internet… En écologie, René Dumont buvant un verre d’eau pour la campagne électorale de 1974, le Club de Rome critiquant le principe d’une croissance infinie, avaient bien raison et leurs prédictions se sont avérées justes. Soyons donc bien sûrs que tout effort d’imagination et de construction, aussi petit soit-il, influence la construction de l’avenir: cela s’appelle en physique « la sensibilité aux conditions initiales » et c’est une excellente raison de se bouger les fesses !

Sur toutes ces questions je vous recommande le site http://www.manicore.com/.

Jean-Pierre Reinmann
 Doutes…
Je ne sais pas si c'est l'hiver qui se prolonge ou l'actualité qui me chagrine, mais ce soir je me prends à douter. Ce qu'on fait a-t-il la moindre chance d'avoir un impact, au-delà des quelques centaines de personnes plus ou moins directement impliquées dans les Ateliers ? J'ai par moment du mal à vivre ensemble ce qui se passe aux Ateliers et ce que je vois autour de moi :d'un côté la joie de voir des personnes enrichir pas à pas le sens qu'elles donnent à leur citoyenneté ; de l'autre une inquiétude qui grandit face à l'inéluctable catastrophe qui devrait résulter de notre inconscience collective face aux dangers qui menacent la survie même de l'humanité.
Deux exemples sans commune mesure mais qui ont marqué ma journée.
J'allais aux Ateliers aujourd'hui samedi pour lire des mails en retard, ça faisait longtemps que je n'étais pas passé par le centre ville le week-end. Voir cette foule compacte de gens quittant le métro en masse pour se répandre dans les principales artères commerciales, me remplissait d'une sorte de … nausée (je sais le mot est fort). Et prendre conscience que ça dépassait désormais le simple malaise que j'éprouve régulièrement au milieu de la foule accentuait encore mon trouble. Est-ce que je ne supporte plus mes semblables tels qu'ils sont ? Mon désir de vivre dans un monde plus frugal est-il en train de me transformer en misanthrope atrabilaire ? Je suis pourtant certain qu'on ne peut contribuer à changer le monde qu'en étant en empathie avec lui. Et les « déclinologues », on le voit bien, ne font pas progresser d'un iota dans la voie d'un renouveau civique.
Je crois que ce malaise tient aussi à l'affaire Halimi et à la façon dont on en a parlé. Tout le débat s'est concentré sur le fait de savoir s'il s'agissait d'un crime antisémite. Ce que j'y ai vu c'est une barbarie monstrueuse parce qu'inexplicable. Je trouve trop « commode » de le rattacher à une catégorie connue, l'antisémitisme. Nommer ce crime, c'est déjà savoir y faire face. On a vu tous les militants de l'antiracisme se mobiliser… mais au risque de passer à côté du problème.  Pour moi le problème tient au fait que les auteurs de ce crime n'éprouvent aucun besoin de justifier leur acte, ni par l'antisémitisme, ni par le rejet d'une société qui les tiendrait à l'écart (ce n'était d'ailleurs pas le cas pour la plupart des membres de la bande), ni par une quelconque idéologie. Ils font souffrir et ils tuent sans raison. La personne en face d'eux n'existe tout simplement pas, elle n'est qu'un objet que l'on peut détruire à son gré. L'humanité de l'autre est niée parce que n'ayant pas de sens. Rien de commun entre ces deux faits. Non rien. Pourtant je ne peux m'empêcher de penser qu'ils ont une racine commune : un rapport à l'autre atrophié, une réification de l'environnement. Non la marchandisation du monde, la dictature des marques ne conduisent pas à la barbarie. En revanche ne voit-on pas qu'elles réduisent la capacité de la société à contenir la barbarie quand elle menace ? N'y aurait-il pas dû y avoir sur le chemin de Fofana et de sa bande des adultes (parents, enseignants, voisins, copains, collègues,…) en mesure de les aider à se construire ou à tout le moins à ne pas se détruire ? Questions qui me donnent le vertige car ne suis-je pas passé déjà à côté de personnes à la dérive sans me sentir en capacité d'intervenir ? Que faire ?Je n'ai pas de réponse toute faite… et ne veux pas en avoir (de réponse toute faite). On voit trop comment les politiques, en se précipitant sur les réponses, se fourvoient dans des impasses. La seule certitude que j'ai, c'est celle de l'utilité de ce que nous vivons aux Ateliers : leur fréquentation contribue bien à élever notre « capacité relationnelle » et on voit bien que cette habileté sociale, comme disent les Québécois, est capitale. On a trop négligé l'importance des mots, de leur maniement, de leur ajustement. Et si la suppression de tout apprentissage de la rhétorique avait été une de nos plus graves erreurs collectives ? Dans le même sens, voir ci après le texte de Philippe Breton paru dans un hors-série de Télérama consacré à l'héritage des Lumières que l'auteur m'a autorisé à reprendre ici.

Hervé Chaygneaud-Dupuy

Sait-on encore débattre ?
La pratique de la parole, comme l’a montre l’historien Jean-Pierre Vernant, se trouve au centre de la démocratie; elle ins­taure, comme principe fondateur, l’égalité de la parole dans un débat symétrique. Or, que ce soit dans l’espace public, dans le monde du travail ou même dans l’espa­ce privé et dans les rapports entre hommes et femmes, ce principe se heurte aujour­d’hui à des pratiques qui restent souvent régies par la violence hiérarchique, pas toujours symbolique, ou, pire, qui sont prises dans le glacis des consensus identitaires ou du  « politiquement correct »,

Là où le débat devrait régner en maître, on rencontre plutôt un déficit généralisé de compétence à se former une opinion et à débattre. Prendre la parole devant les autres, défendre son point de vue dans un débat argumenté, est la première peur des Français, comme des Américains. Beaucoup éprouvent de nombreuses difficultés à se forger une opinion et échouent de toute façon à l’argumenter. La violence remplace souvent la discus­sion, et l’écoute attentive est la vertu la moins répandue. De très nombreux lieux de parole, comme les assemblées politiques, les syndicats, les associations, sont ainsi vidés de leur potentiel démocratique. Les démagogues e! les manipulateurs de la parole paradent dans l’espace public. En renvoyant aux marges du système la pratique de la parole, nos démocraties risquent fort de perdre leur élan, si ce n’est leur cœur.

Cette « dissonance démocratique » est paradoxalement en rapport avec l’héritage le plus radical des Lumières, qui a sacralisé, d’une part la raison, d’autre part l’individu. Sous cette influence, on a identifié, voire amalgamé, le programme de la démocratie, qui se déploie cahin-caha en Europe tout au long des XIXe et Xe siècles, à celui de l’émancipation d’un individu raisonnant par lui-même. Ce projet, louable, laisse dans l’ombre l’exercice collectif de la démocratie, c’est-à-dire la valeur de tout ce qui se discute.

Car, la raison étant incapable de justifier seule ses propres fondements, elle se déploie à travers le tissage de plusieurs croyances, qu’on peut résumer brutalement ainsi : la connaissance libère l’esprit, l’information fait agir, la communication donne du sens. À partir de là, on soutient que les savoirs de l’école suffisent à former des citoyens, qu’Internet et les nouvelles technologies de communication ouvrent désormais de vrais espaces pour la démocratie, et que la liberté de la presse et de la télévision vaut liberté de parole pour tous. La vraie question de la démocratie, celle du débat, de l’opinion, de la pratique symétrique de la parole, est ainsi évacuée.
Le principal problème de ce programme émancipateur issu des Lumières radicales est qu’il s’est construit en rupture, voire en opposition, avec plusieurs traditions qui étaient les vecteurs concrets d’une démocratie en actes et non simplement en valeurs, issues d’une part du monde grec – à travers sa redécouverte à la Renaissance en Italie du Nord et dans le bassin rhénan -, d’autre part de la chrétienté. Ces traditions ont été rejetées par un courant rationaliste fondamentaliste et volontiers élitiste, au motif que l’une portée par le christianisme, avec lequel il fallait justement rompre, et que l’autre se référait à une conception véritablement égalitaire de la cité athénienne.
Il ne s’agit pas ici de soutenir que l’Église catholique, ou même les institutions protestantes étaient porteuses d’un projet démocratique – proposition assez absurde en soi. Mais comment oublier que la notion d’égalité, déjà présente dans le christianisme primitif – par exemple dans les pratiques de la communauté chrétienne de Jérusalem dans les textes de Paul -, a joué un grand rôle, comme l’a montré l’anthropologue Louis Dumont, dans la genèse de l’individu démocratique moderne?

À la Renaissance, on lit Aristote grâce à ses traducteurs arabes, notamment Averroès, qui introduit en Europe la pensée grecque. Avec La Rhétorique (réapparu en arabe en 1256), on redécouvre cet « art de convaincre » qui était à la fois l’outil pratique de la démocratie athénienne, « l’action » par excellence et sa condition sine qua non. Les pères jésuites, au cœur d’une institution pourtant peu portée à l’égalitarisme, mais confrontés à la nécessité de défendre leurs positions face aux avancées de la Réforme, en feront la base de tout enseignement à partir de 1549. La pratique du débat, de la disputio et de l’échange symétrique des arguments auxquels s’exerceront toutes les générations d’étudiants pendant deux siècles, jouera de façon autonome, un rôle dissolvant de toute hiérarchie, et préparera l’acceptation de l’idée démocratique moderne.

Il y a mieux. Les Églises chrétiennes ont nourri une idée très moderne en valorisant l’intériorité (propre à saint Augustin, mais déjà présente dans le stoïcisme} comme espace privé intérieur de rencontre avec Dieu. Ce faisant, elles offriront à l’homme moderne la séparation existentielle entre personne privée et personne publique sans laquelle la démocratie n’est qu’une coquille vide. L’intériorité se sécularise en effet rapidement, jusqu’à la version freudienne, pour devenir le lieu par excellence de la délibération de soi à soi et de la formation des opinions propres.

Sur ce point précis, les Lumières radicales ont affaibli, sinon brisé, ce dont le processus de sécularisation de la chrétienté était porteur. Il y a eu d’abord la tentative de liquidation de l’héritage rhétorique, inaugurée par Descartes et encouragée au nom du caractère purement démonstratif de la raison {il s’agit de démontrer des faits ou des vérités, pas de les discuter). On oublie ainsi les catégories de la raison qu’Aristote avait établies pour régler le problème du savoir dans une société démocratique : la rationalité analytique (la science des faits), la rationalité argumentative (qui préside à la formation rigoureuse des opinions) et la rationalité poétique (le domaine de la fiction). L’envahissement d’une rationalité purement analytique équivaut à un combat entre vérité et fiction. La raison se définit dès lors uniquement dans une alternative avec le champ poétique. La rationalité argumentative disparaît, comme broyée entre les « deux cultures ». La classe de rhétorique est supprimée des programmes d’enseignement en France en 1905 au profit des sciences et des lettres. L’école et l’université oublient leur mission démocratique de formation au débat, au dialogue, à la citoyenneté, pour ne plus privilégier que l’élitisme dans l’ordre du savoir. Aujourd’hui, on séduit ou on démontre, mais on n’apprend guère à écouter ou à argumenter.

L’idéal d’une raison impériale et instrumentale a évacué du champ de la rationalité l’opinion forgée de l’intérieur, qui est pourtant la matière première de la machine démocratique et se nourrit plus de pluralité que de dogmes. Reste le double modèle médiatique de la transparence généralisée et de l’interactivité du débat. Même s’il a peu à voir avec un véritable échange, il a « recollectivisé » une société que la démocratie voulait pourtant peuplée, non pas d’individus communiquant, mais de personnes responsables, auteurs de leur parole.

Dans un certain sens, l’interprétation dogmatique et fondamentaliste des Lumières a transformé l’homme moderne en un démocrate de principe, adorateur d’une raison abstraite, mais qui se révèle trop souvent être, dans la pratique, un individu faiblement compétent pour la parole et l’écoute, contraint collectivement au bavardage, à la soumission et au conformisme, qui sont l’ordinaire de la société dite de communication.
 

Philippe BRETON
Sait-on encore débattre ?, Télérama hors-série Les Lumières des idées pour demain, 2006, p.110
 

Philippe Breton est chercheur au CNRS, auteur notamment de : Éloge de la parole (La Découverte, 20031, Argumenter en situation difficile (La Découverte. 2004. et Pocket. 2006), et L’Incompétence démocratique (La Découverte, octobre 2006). I

Avec nos partenaires, toujours sur la route

L’heureuse rencontre de Laurent Marty (« L’auberge espagnole » à Clermont-Ferrand) pendant la plénière de décembre a été suivie par beaucoup d’autres, jusqu’à se lancer aujourd’hui dans une commune aventure : raconter notre plus belle expérience de groupe de parole. L’idée étant d’expérimenter diverses formes d’expression pour rendre compte des effets étonnants de ces groupes de parole -ou ateliers- ou espaces de formation mutuelle – et contribuer à les faire entrer en culture, comme un des outils basiques pour la pratique d’une citoyenneté adaptée à notre époque dixit Laurent. Plusieurs personnes de « l »auberge espagnole » se lancent dans l’aventure d’écrire une histoire ainsi que Pascale Puéchavy aux Ateliers. Toute nouvelle tentative est la bienvenue.

Quelles sont les suites de la journée de la coopération entre les générations organisée en partenariat avec ARAVIS ? Après diverses restitutions de cette journée (les dernières ont été mises en ligne il y a quelques jours sur le site www.aravis.aract.fr) ARAVIS et les Ateliers proposent aux participants qui souhaitent poursuivre le travail de réflexion de se réunir le mercredi 19 avril, de 18 à 20h à l’Elysée.

Agenda des AdC en avril

En sus des rencontres qui jalonnent régulièrement le mois, deux événements exceptionnels auront lieu le samedi 22 avril :

       un premier atelier-débat pour une approche citoyenne non partisane du débat électoral (de 9h30 à 12h)

       l’Assemblée Générale des Ateliers de la Citoyenneté (de 13h à 15h). Si vous souhaitez adhérer ou renouveler votre adhésion à l’association, et donc participer à ses orientations lors de l’AG, vous trouverez en pièce jointe le bulletin d’adhésion de l’année 2006.Nous vous donnerons ces prochains jours des informations plus précises sur ces deux évènements (qui ont lieu le même jour par commodité).

  • Les autres RDV …
              RDV « Instantané »à Paris: vendredi 7 avril
              RDV « Instantané » à Lyon : vendredi 14 avril
              « Café Médias » au café de la cloche : lundi 10 avril (thème : justice, médias, public : à qui se fier ?)
              « Initiales » à ‘Elysée : mardi 25 avril (Thème: l’engagement  citoyen des salariés)
     Réunions des ateliers
              Déplacements durables et citoyenneté: jeudi 13 avril (Lyon)
              Laïcité et Fraternité : vendredi 28 avril (Lyon)
              Métier et citoyenneté : mercredi 29 mars et mercredi 5 avril (Lyon)
              Espaces commerciaux et citoyenneté : date non fixée (Paris)
     
              Dialogue élus et citoyens : mardi 25 avril (Paris)
     L’atelier Information et citoyenneté, à l’initiative du Café médias,  reprend sa fonction d’espace de réflexion et de formation mutuelle à l’exercice de la citoyenneté, il se réunit le mardi 18 avril, de 18 à 20h à Lyon
      

     

  

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