…et si nous devenions des “citoyens entreprenants” ?

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Millénaire3 – site prospectif du Grand Lyon – avril 2007

Filed under: Revue de presse — Auteur : — 21 Avr 2007 —

« Il y a une démocratie sociétale à inventer… Découvrir le bonheur d’être lié, c’est ce qui donne sens à la démocratie.»

Interview de Hervé Chaygneaud-Dupuy, Délégué général des Ateliers de la
citoyenneté
Propos recueillis par Catherine Panassier, le 20 avril 2007.

voir l’article mis en page sur le site de Millénaire 3
Pouvez-vous nous présenter les Ateliers de la citoyenneté, ce qui vous a amené à créer de tels espaces d’échange ?

Les fondateurs des ateliers et ceux qui, depuis cinq ans, nous rejoignent au fil de nos rencontres, partagent l’idée que la citoyenneté ne se résume pas aux choix de représentants politiques. Elle implique aussi un devoir de proposition pour faire face aux dysfonctionnements que nous constatons. Cela passe par des prises de conscience et des engagements personnels. Cependant, la citoyenneté active s’est trop souvent enfermée dans des approches militantes et revendicatives. C’est pourquoi, nous considérons qu’il est temps de développer une « citoyenneté entreprenante » ancrée dans les réalités d’aujourd’hui, notamment le champ professionnel, trop souvent laissé à l’écart de la question citoyenne. Le mot d’Atelier est là pour signifier qu’il ne suffit pas de penser mais qu’il faut tout autant agir, faire alterner des temps de discernement et de mise à l’épreuve. Nous sommes convaincus que l’initiative personnelle est possible et souhaitable, pour renouveler la mise en oeuvre du bien commun. Elle doit être sollicitée, facilitée, reconnue.

Concrètement comment fonctionnent-ils ?

Au-delà des réunions plénières, plusieurs types de rencontres sont ouvertes à tous ceux qui le souhaitent : les instantanés sont des temps d’échange autour de l’actualité ; les initiales sont des temps de débats à partir d’initiatives et d’envies d’agir
partagées ; enfin, les cafés médias permettent de riches échanges entre journalistes et non journalistes. Outre ces rencontres qui permettent une découverte, un premier contact, les activités des Ateliers se déclinent en rendez-vous mensuels de groupes de travail (ateliers). Ils permettent un travail de discernement collectif autour de différents thèmes comme l’habitat et les âges de la vie, les déplacements conviviaux, laïcité et fraternité, précarité et citoyenneté…

Quel bilan tirez-vous de ces premières années d’expériences et quelles sont vos priorités d’action pour l’avenir ?

Ce qui me frappe le plus, c’est l’importance que les personnes qui sont venues aux Ateliers accordent à cet espace de parole et de
discernement. Tous, anciens ou nouveaux, disent que ce type de lieux manque « dans la vie de tous les jours » et qu’ils sont heureux de pouvoir venir échanger ici. Et, c’est ce qui nous motive pour continuer malgré la difficulté à faire vivre financièrement ce genre d’initiative. La citoyenneté entreprenante que nous tentons de pratiquer, parce qu’elle conjugue une
volonté de s’ouvrir aux autres et une volonté d’agir, d’agir avec les autres dans tous les espaces de la vie quotidienne, réunit de nombreuses énergies qui ne s’expriment plus dans les corps intermédiaires ou les associations traditionnelles.

On parle aujourd’hui de crise de la démocratie, comment la caractérisez-vous ? Assiste-t-on à une crise des valeurs, des idées ou à une remise en cause de principes, notamment celui de la démocratie représentative, ou cette crise est-elle liée à l’individualisation de la société ou au décalage entre une élite homogène d’élus issus de partis politiques qui n’auraient pas su évoluer en lien avec les citoyens ?

Lorsqu’aujourd’hui on parle de crise de la démocratie, on peut effectivement considérer qu’elle émane de l’ensemble des causes que vous venez d’évoquer. Cependant, ce qui me semble le plus frappant, c’est le décalage entre les capacités de mobilisation de la société civile et les modes d’action de la classe politique. On est à un tournant, le système que nous vivons aujourd’hui ne durera pas : soit il aura implosé avec une régression vers un régime autoritaire, soit une configuration politique recomposée aura permis une plus grande démocratie. Le politique ne sera d’ailleurs probablement pas à l’origine de ce mouvement, ce sont les citoyens qui vont l’exiger. Certes il y a de vrais efforts pour mettre en place de nouvelles démarches « démocratiques ». Les dispositifs de démocratie participative fleurissent de partout, mais ils se focalisent sur la décision, un partage plus ou moins réel de la décision. C’est utile bien sûr, mais l’essentiel n’est à mon sens pas là. L’essentiel est de faire en sorte que les citoyens aient directement prise sur le « vivre ensemble » et c’est bien à cet endroit que l’on ne sait pas faire.
On a longtemps su mobiliser les citoyens, par le biais des corps intermédiaires. Or ces derniers sont en panne, obsolètes. Et l’idée de les reconstituer ne me semble pas envisageable. La société a évolué, nous sommes dans une société
d’individus. Or, on ne sait pas faire de la politique avec une société d’individus. Le politique ne sait parler
qu’aux citoyens de façon abstraite, en les considérant tous ensemble. Il est frappant de voir que le principal souci, des concepteurs de démarches participatives, c’est d’avoir un groupe de citoyens « représentatifs », avec plus de femmes, de jeunes, de « sans voix »… On gomme les volontés individuelles d’agir. Entre la démocratie sociale portée par les corps intermédiaires sans réel envie d’innovation et sans effet d’entraînement et la démocratie participative initiée par les institutions finalement calquée sur la légitimité de la représentativité, il y a une démocratie sociétale à inventer. C’est pour cela que nous avons créé les Ateliers.

Concrètement qu’est-ce qui vous distingue ?

Les individus ne se reconnaissent plus dans les cadres collectifs. De plus, chaque identité est multiple et c’est à chacun de se construire des cadres intérieurs. Nous ne nous caractérisons plus par rapport à tel où tel groupe défini par une idéologie ou une autre. Nous sommes multiples, croyants et laïques, soucieux de nos propres intérêts et solidaires… C’est pourquoi, nous prônons la culture du « Et » au lieu de celle du « Ou » et nous favorisons les systèmes « mutualisants ». Nous partons des envies des gens, nous repérons les initiatives des uns et des autres dans l’objectif de les mutualiser. Bien sûr, une telle démarche est plus longue et plus difficile, mais plus constructive aussi.

Ces dernières années, de nombreux mouvements éphémères se sont constitués pour défendre une idée ou lutter contre un projet proposé par les pouvoirs publics, comment vous positionnez-vous par rapport à ces mobilisations informelles ?

On assiste effectivement à des expressions nouvelles, indépendantes des grandes idéologies, concrètes et qui se font et se défont au gré des événements et de l’actualité. Ce sont là encore de fabuleuses énergies qui se mobilisent. Toutefois, il faut bien avoir conscience que l’on est dans un pays qui flatte l’exaspération et que ces mouvements sont souvent des mouvements d’opposition. Il est alors nécessaire de travailler avec ces groupes pour, en partant de la contestation, aller vers la construction de solutions.

Qu’est-ce qui peut favoriser l’émergence et le développement d’une démocratie sociétale ?

Les hommes politiques bien sûr, en favorisant le débat et l’échange des points de vue, mais également et surtout les médias. On mesure bien, à travers les exemples récents de la sécurité routière ou de l’écologie, l’impact des médias sur les comportements. Outre les documentaires, les films ou les journaux télévisés, les téléfilms, souvent sous-estimés, permettent également des prises de conscience sur les évolutions sociologiques de la société. On ne sait raisonner que par l’argumentation rationnelle et l’on néglige l’importance du récit et des histoires racontées. On peut utilement contribuer à la réflexion collective avec des fictions comme celle qui présentait, il y a quelques mois, la possibilité d’échanges avec des monnaies locales. On suivait les tribulations d’un psy dans la Creuse qui échangeait ses séances contre des lapins ! Aujourd’hui, l’alliance semble impossible entre le politique, le
médiatique et la société civile car nous sommes coincés dans un système de relations de défiance. Or il serait
intéressant d’aller vers une coopération prospective, de créer des alliances inédites pour lancer des mouvements d’opinion en profondeur. Il nous faut être créatif, sortir des carcans dans lesquels nous sommes enfermés alors que le monde a changé. De plus, Internet est un outil extraordinaire à notre disposition pour favoriser les envies d’agir et créer des passerelles.

L’école a t-elle un rôle à jouer ?

Ou l’on agit aussi radicalement que le proposait Ivan Illich dès les années 70 ou l’on intervient à côté, en marge, pour multiplier les dynamiques, pour permettre d’autres espaces d’épanouissement complémentaires. Le modèle de l’école n’est pas
mauvais, mais il est unique. Il faudrait favoriser la diversité des modèles. Nous avons deux gros défauts en matière d’éducation. On suscite trop peu la curiosité et l’envie d’entreprendre. On demande beaucoup à l’école et à la famille. La société se décharge un peu trop facilement de sa responsabilité collective à mettre la génération suivante en situation de prendre la main sur son avenir. Le service civil obligatoire peut être aussi un fabuleux moyen pour favoriser l’apprentissage du « vivre ensemble » et surtout créer le désir de sortir de son isolement.

La Ville de Lyon, le Grand Lyon ou la région Rhône-Alpes se sont engagés dans des démarches de démocratie participative. Quelle
perception avez-vous des dispositifs mis en place ?

Les dispositifs mis en oeuvre n’ont pas tous les mêmes intérêts et les mêmes finalités. Il est difficile de considérer de la même façon les comités de ligne de la région Rhône-Alpes et le conseil de développement du Grand Lyon. Les comités de ligne permettent
(doivent permettre ?) non seulement d’améliorer les conditions d’utilisation des services TER pour les usagers, mais également, de débattre globalement de cette question des déplacements où il y a tant de choses à inventer notamment autour de la convivialité. Les conférences de citoyens avec des personnes tirées au sort se révèlent particulièrement intéressantes. C’est une technique qui marche et qui a du sens. Quand les citoyens sont en situation de délibérer, quand ils sont en charge de se prononcer, ils deviennent effectivement bien plus qu’une somme d’individus. Lorsqu’il y a réellement écoute, la parole devient posée, argumentée, constructive. L’expression des collèges citoyens dans les commissions emploi formation est plus difficile car la problématique est complexe et que les autres collèges ont un langage propre et des habitudes de travail bien ancrées. Il serait probablement utile de conduire auprès des citoyens de ce collège un travail en amont pour les aider à trouver leur place et à investir pleinement leur mission. Nous y réfléchissons. Quant au conseil de développement du Grand Lyon, il a dernièrement été reconfiguré. Pour le moment, ce n’est pas encore une assemblée, il pourrait être bien plus créatif s’il y avait plus d’auto-saisine, de réunions de travail et de renouvellement des personnes. Certains membres du conseil sont là depuis si longtemps qu’ils s’octroient des rôles qui parfois nous font penser qu’on est en train de « singer » la démocratie représentative. De plus, les choses mettent du temps à se mettre en place. L’institutionnalisation de tels dispositifs est nécessaire. Mais, il est fondamental de veiller à ce que l’institué ne tue pas l’instituant comme disent les psychosociologues. Par ailleurs, les conseils de quartiers, ici ou là, se révèlent plus être des instances pour entériner des décisions publiques et trop souvent pour occuper des personnes « recalés » du monde politique ou des corps intermédiaires.

Quel serait pour vous l’axe prioritaire à poursuivre pour l’avenir ?

La démocratie a connu trois grandes époques. La démocratie d’Athènes, celle de la citoyenneté par l’implication. La démocratie du XVIIIème, celle de la liberté par les droits, de la « jouissance paisible de l’indépendance privée » comme disait Benjamin Constant, et celle d’aujourd’hui qui est à reconstruire. Entre le faire pour les autres de l’altruisme et le faire pour soi propre de l’individualisme, il y a le faire avec. Tout le monde aujourd’hui dispose d’un « radar social », d’une envie de « faire société » qu’il suffit de révéler et de rendre perceptible. Pour cela il convient de privilégier ce que j’appelle les « centres d’échanges » plutôt que les négociations avec les corps intermédiaires ou le partage illusoire de LA décision avec LES citoyens.
Si l’on reprend l’exemple des déplacements, il est certes important que les citoyens puissent donner leur avis sur le PDU mais il est encore plus important qu’ils participent à la mise en place du PDU dans leur quartier. Certaines adaptations locales, à l’exemple d’un mini changement d’itinéraire de bus ou de la création d’un pédibus à l’échelle d’un sous quartier, n’ont pas à figurer dans un document stratégique d’ensemble comme le PDU. Et pourtant, ils sont essentiels dans le quotidien des habitants. Autre exemple, on peut se demander comment payer les retraites de demain. On peut aussi réfléchir plus largement à la question du vieillissement et aux évolutions innovantes de notre société pour bien vivre ce phénomène. Ce n’est pas la loi, ni les rapports entre élus, syndicats ou patronat qui vont régler cette question. C’est en s’appropriant cette question, en la mettant en débat que l’on pourra faire preuve d’imagination, innover et expérimenter de nouvelles voies directement dans les entreprises. Les gens n’ont pas idée de ce qu’ils peuvent faire dès que l’on élargit le champ des possibles. C’est pourquoi, les espaces de débats pour construire ensemble un quotidien plus convivial, pour créer des ponts, pour croiser les réflexions, pour inventer et expérimenter sont si importants. Découvrir le bonheur d’être lié, c’est ce qui donne sens à la démocratie.

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