Pas de réforme sans confiance dans les capacités de la société à se transformer
Jospin, Raffarin, Villepin et Sarkozy ont testé des modes de réforme apparemment très différents les uns des autres et pourtant ils ont également échoué. Faut-il en conclure que notre pays est décidément ingouvernable comme commence à le dire Sarkozy, comme ne cessent de l’affirmer les commentateurs depuis des années ? Essayons d’aller plus loin dans l’analyse et de rechercher en conséquence le mode de réforme qui conviendrait à un pays clairement rétif à l’autorité mais dont on ne sait pas utiliser l’énergie et la créativité.
Jospin, Raffarin, Villepin et Sarkozy : même méthode ?
Revenons d’abord sur ces quatre occasions de réformer, occasions gâchées alors que chacun des quatre responsables qui se sont succédé depuis 12 ans avait su susciter une attente bienveillante lors de sa prise de fonction. Jospin avait pour lui une forme de sérieux (« je dis ce que je fais et je fais ce que je dis ») et de jeu collectif qui faisait penser que nous avions trouvé notre social-démocratie à la française mais bien vite cette impression s’est délitée avec le retour de l’impuissance avouée face à l’emploi (« l’Etat ne peut pas tout »). Raffarin avait l’avantage de la nouveauté et du régionalisme. La réforme constitutionnelle qu’il a menée a conduit à l’inverse de ce qu’on attendait, le retour en force du département ! Après l’épisode de la canicule, il avait de toute façon perdu toute crédibilité. Villepin avec son sens du verbe et de l’Etat pouvait laisser espérer un retour de la flamboyance en politique, il s’est rapidement enferré sur l’emploi des jeunes alors qu’il en avait fait son dossier prioritaire. Enfin Sarkozy après avoir mis en scène l’hyperprésidence se voit contraint comme ses prédécesseurs à de multiples reculades (enseignement supérieur, lycées, emplois jeunes…) et à vanter le « modèle français » qu’il avait pourtant brocardé pendant la campagne.
Jeu collectif ou pouvoir personnel, décentralisation ou jacobinisme : la palette des tentatives réformistes semble pourtant avoir été large. Mais en fait, n’est-ce- pas une illusion ? Ne fait-on pas toujours peu ou prou la même chose ?
Utiliser « l’énergie sociétale »
Je crois que l’essentiel du problème vient du fait que les politiques ne savent pas dans quelle société ils vivent et, en conséquence, n’imaginent même pas qu’on puisse faire des réformes AVEC elle et non pas pour elle. En fait les élus ne connaissent que l’opinion publique, cet agrégat sans volonté mais au pouvoir redouté, exprimé à chaque sondage et à chaque élection. Ils ne voient que des individus isolés et revendicatifs, des coalitions corporatistes de mécontents ou un peuple tour à tour apathique ou révolté. Avez-vous déjà entendu un responsable politique décrypter les ressorts de la société d’individus dans laquelle nous vivons pour mobiliser les énergies de ceux qu’on appelle les « créatifs culturels », ces personnes qui cherchent leur bonheur en tissant autour d’eux les liens qui rendent la vie meilleure ? Il y a beaucoup d’énergie potentielle chez ces gens-là qui représentent tout de même entre 17 et 30 % de la population selon les enquêtes.
Pourquoi cette énergie est-elle à ce point ignorée voire crainte ? Quelles sont les réformes que l’on peut faire avec ces alliés potentiels ? Rien de moins que la construction du modèle économique qui sera réellement durable face aux crises environnementales et sociales. Modèle économique au sens large puisque c’est en fait le rapport à la richesse, à ce que l’on valorise qui est en jeu. Les 17 à 30 % de gens dont nous parlons sont ceux qui admettent que la richesse vient davantage des « liens » que des « biens ». Proposons-leur des occasions de mettre en œuvre concrètement cette préférence pour les liens. Soutenons le développement des réseaux d’échange, les bourses du temps, déployons le co-voiturage, l’auto-partage, concrétisons enfin cette économie de l’accès (Dominique Bourg parle d’économie de la fonctionnalité) où il s’agit moins de posséder des biens que d’accéder à des services.
Changement de posture
En Auvergne où j’animais une démarche d’écoute des habitants sur la question des transports, on constatait que les nouvelles formes de mobilité se développent aussi au travers d’une multitude d’initiatives locales associatives ou publiques : ce n’est donc pas réservé aux grandes villes et aux bobos. Sur ce nouveau rapport à la richesse, la responsabilité des politiques n’est pas de faire des lois mais plutôt d’imaginer un vaste plan de déploiement de ces initiatives. Cela passe par des modes d’action nouveaux : aider des réseaux d’acteurs à se structurer sans les réglementer, créer des espaces de coordination pour que les régulations soient faites par les acteurs eux-mêmes et non par un arbitre surplombant, inventer des formes de valorisation en lien avec les médias et non par des campagnes de promotion institutionnelles,… Il est urgentissime que les politiques, les administrations et les médias découvrent les ressources immenses mais encore largement invisibles de la société des individus. Mais pour cela, il faut cultiver deux qualités trop rares dans nos élites : la CONFIANCE et la MODESTIE. Il y a quelques années, je parlais de « volontarisme modeste », je crois qu’il est toujours plus d’actualité.
Hervé Chaygneaud-Dupuy
Oui! la réforme par le haut ne fonctionne pas. Les quatre exemples d’Hervé Chaygneaud-Dupuy l’illustrent bien. Alors se pose la question: comment mettre en place des outils démocratiques permettant que le changement se fasse directement, à partir des initiatives citoyennes? Je pense, en particulier au droit d’initiative et de référendum tel qu’il est pratiqué en Suisse (bien différent de la caricature inscrite, à l’été 2008, dans la réforme de la constitution française).
Comment by Michel Laloux — 3 juillet 2009 @ 12:53
J’aime bien l’idée d' »utiliser l’énergie sociétale » pour réformer, pour faire émerger des réformes du mouvement même de la société. Si j’ai bien compris c’est ce que Richard Decoing, le Directeur de ScPo, suggère de faire dans son rapport sur l’éducation. C’est ce qu’il a fait en organisant l’accès à ScPo de jeunes défavorisés.
Pour y parvenir, il faut pouvoir comprendre de façon suffisamment pénétrante la dynamique des sociosystèmes qu’on veut modifier et impliquer dans la conception et la conduite tâtonnante de la réforme les acteurs qu’elle peut aider à améliorer leur vie. Pas facile à faire ! Plus difficile encore de faire comprendre aux politiques qu’il faut faire cet effort coûteux et qu’il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions.
Il y a trente ou quarante ans que « les personnes qui cherchent le bonheur en tissant autour d’eux des liens qui rendent la vie meilleure » se multiplient dans nos sociétés et changent la société en profondeur. Ils représentent aujourd’hui beaucoup plus que 17 ou 30% de nos populations. Il est grand temps d’ajuster nos pratiques institutionnelles et nos façons de faire de l’économie et de la politique à la société des gens.
Concernant Sarkozy, il me semble que tu es un peu rapide. Il a déjà réussi quelques réformes et il en réussira probablement d’autres. Tu le vois « contraint de vanter le modèle français qu’il avait pourtant brocardé pendant la campagne ». Il faut tenir compte du temps qui passe, notamment quand il apporte des changements radicaux. Le « modèle français » (avec un niveau assez élevé de régulation de l’activité économique et financière et d’intervention de l’Etat dans le champ socio-économique et une pléthore de fonctionnaires) était facteur de chômage et préjudiciable à notre prospérité globale dans le cadre d’une économie mondiale hyperlibérale à l’anglo-saxonne. Au creux d’une crise économique mondiale majeure et alors que le modèle libéral est de fait abandonné (provisoirement ?) le modèle français (ou européen, ou scandinave) laisse apparaître ses vertus. Ce n’est pas lui qui a produit la crise et Il en adoucit le choc socio-humain. Le problème n’est plus de réformer le modèle français pour le rapprocher du modèle anglo-saxon mais de co-construire à notre façon mais avec nos collègues européens le nouveau modèle qui va émerger.
Comment by Alain de Vulpian — 8 juillet 2009 @ 6:43
bonjour,
c’est tardivement et après bien des détours que je découvre ce texte qui rejoint ce que nous avions demandé (avec ue suggestion de mode d’emploi!)dans la conclusion de LA REPUBLIQUE ANTIPARTICIPATIVE – Les obstacles à la participation des citoyens à la démocratie locale (publié chez L’Harmattan en 2009)
nous l’avons offert à plusieurs responsables lyonnais et pourrons vous l’envoyer si vous le souhaitez et si vous nous donnez une adrese postale
amicalement
Jean Tournon
Comment by Jean Tournon — 31 janvier 2010 @ 21:31